Banque & Vous

UEMOA : le prix du crédit décroche à 6,67 %, mais tous les pays ne trinquent pas pareil

Dans l’Union monétaire ouest-africaine, l’air devient un peu plus respirable pour les emprunteurs. Selon la dernière enquête sur les conditions de banque, le taux débiteur moyen dans l’UEMOA est descendu à 6,67 % en août 2025, contre 6,68 % en juillet. Une baisse mensuelle presque symbolique, mais qui s’inscrit dans une tendance plus nette : sur un an, le coût moyen du crédit a reculé d’environ 47 points de base, signe d’un petit desserrement des conditions de financement dans un contexte de stabilisation monétaire orchestrée par la BCEAO.

Derrière cette moyenne en apparence rassurante, la réalité est pourtant beaucoup plus contrastée. Certaines économies profitent d’un environnement bancaire plus compétitif, d’autres restent coincées dans une zone de risque où le crédit demeure nettement plus cher.

Côte d’Ivoire et Sénégal en mode “crédit moins cher”

Les bons élèves de ce mouvement de détente se trouvent du côté des poids lourds de l’Union.
En Côte d’Ivoire, le taux débiteur moyen recule à 6,22 % en août, contre 6,24 % le mois précédent. Au Sénégal, il baisse à 5,80 %, après 5,81 %. Dans ces deux marchés, la combinaison d’une liquidité bancaire mieux maîtrisée, de systèmes financiers plus profonds et d’une concurrence réelle entre établissements joue clairement en faveur des emprunteurs.

Même tendance au Bénin, où le coût du crédit ressort à 7,60 % (7,61 % en juillet), et au Burkina Faso, à 7,54 % (7,55 % précédemment). Les variations mensuelles restent minimes, mais elles confirment une dynamique mesurée de compression des marges et de contrôle plus fin du risque par les banques.

En clair, dans ces pays, les banques semblent accepter de renoncer à quelques points de marge pour rester attractives, tout en profitant d’un environnement monétaire mieux balisé par la BCEAO.

Trois pays dans la zone de turbulences

Tableau bien différent en Guinée-Bissau, au Niger et au Mali, où la courbe repart… dans le mauvais sens.
En Guinée-Bissau, le taux débiteur moyen grimpe à 9,55 % en août, contre 9,51 % en juillet. Au Niger, il passe de 8,87 % à 8,91 %, et au Mali de 7,45 % à 7,48 %.

Sur le papier, ces hausses paraissent modestes. Mais elles traduisent des conditions de risque plus élevées, des tensions persistantes sur la liquidité et, parfois, un environnement politique ou sécuritaire qui pousse les banques à se couvrir davantage. Résultat : le crédit y reste plus cher que dans le cœur “stable” de l’Union.

Pour les entreprises et les ménages de ces pays, quelques dixièmes de point font la différence, surtout dans un contexte de pressions inflationnistes et de pouvoir d’achat fragilisé.

Une accalmie sous contrôle de la BCEAO

Au niveau agrégé, la baisse de 47 points de base sur un an n’est pas un hasard. Elle s’inscrit dans la phase de stabilisation monétaire ouverte après la séquence de resserrement initiée pour contenir l’inflation dans l’Union.

L’orientation plus prévisible de la politique de la BCEAO contribue à réduire les tensions sur les coûts de refinancement des banques. Ces dernières, moins prises à la gorge, peuvent ajuster progressivement leurs barèmes de crédit, surtout à destination des bons profils : grandes entreprises, clients bien notés, secteurs jugés stratégiques.

Mais le mouvement reste prudent. Les banques de l’UEMOA continuent d’évoluer dans un environnement où la qualité des portefeuilles, la capacité de recouvrement et la profondeur des marchés de garantie restent des sujets sensibles. Difficile, dans ces conditions, d’imaginer une chute brutale des taux, même si la tendance est à la détente contrôlée.

Un coût du crédit encore trop élevé pour transformer l’économie ?

Même à 6,67 % en moyenne, la question centrale reste entière : ce niveau de taux est-il compatible avec l’ambition de transformation économique portée par les États de l’Union ?

Pour les projets à forte intensité capitalistique, les PME sous-capitalisées ou les secteurs porteurs mais risqués (agro-industrie, industrie légère, innovation, économie verte), le coût du crédit reste souvent un frein majeur. La baisse graduelle des taux débiteurs est une bonne nouvelle, mais elle ne suffira pas, à elle seule, à déclencher la vague d’investissement dont l’UEMOA a besoin.

Ce qui se joue aussi derrière ces chiffres, c’est la capacité de l’Union à :
Mieux partager le risque entre banques, marchés de capitaux et banques publiques de développement ;
Renforcer les mécanismes de garantie ;
Améliorer la qualité de l’information financière et du cadre juridique, pour que les banques puissent pricer plus finement le risque au lieu de charger la facture de tous.

En attendant ces réformes de fond, l’Union devra composer avec cette baisse lente mais réelle du coût du crédit, dont profitent d’abord les marchés les plus structurés, tandis que d’autres continuent d’évoluer sous une prime de risque persistante.

Reste une question : cette détente progressive des taux sera-t-elle assez forte, assez rapide et assez homogène pour se traduire en investissements massifs, en emplois et en croissance visible pour les populations de l’UEMOA, ou restera-t-elle, pour l’instant, surtout une bonne nouvelle sur le papier comptable des banques ?

Patrick Tchounjo

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page