UEMOA : La faible pénétration de la bourse à l’ombre des comptes bancaires

Dans l’UEMOA, avoir un compte bancaire ou un portefeuille mobile money devient peu à peu un geste courant. En revanche, investir en bourse reste l’exception. Alors que les autorités se félicitent des progrès de l’inclusion financière, la participation au marché boursier demeure marginale et concentrée sur une petite élite d’entreprises et d’investisseurs. L’argent circule, mais il se transforme rarement en capital productif coté.
Le contraste est frappant. On compte des millions de comptes bancaires, mais seulement une poignée de comptes titres. La bancarisation progresse, la monnaie scripturale se diffuse, mais la culture boursière reste en retard. Le financement de long terme demeure surtout porté par l’État et par les banques commerciales, tandis que le marché actions et les émissions privées restent largement sous utilisés au regard des besoins d’investissement de la région.
Dans la plupart des pays de l’Union, la montée de la bancarisation, portée par les banques, la microfinance et le mobile money, a surtout permis d’élargir l’accès aux dépôts, aux moyens de paiement et à des formes de crédit de court terme. Mais cette inclusion est avant tout transactionnelle, pas patrimoniale. Le compte sert à recevoir un salaire, régler des factures, envoyer de l’argent ou mettre de côté des liquidités, beaucoup plus rarement à accéder à des produits d’investissement comme les actions, les obligations d’entreprise ou les organismes de placement collectif.
La BRVM reste visible dans les discours officiels, beaucoup moins dans la vie quotidienne. Le nombre d’entreprises cotées demeure limité, dominé par quelques grandes banques, groupes de télécommunications et acteurs industriels régionaux. Les introductions sont rares et la majorité des épargnants ignore les mécanismes de marché, la nature des risques et les opportunités que peut offrir l’investissement en titres.
Cette situation tient à la fois à l’offre et à la demande. L’offre de produits adaptés au grand public reste faible et peu lisible. Les intermédiaires privilégient encore les dépôts classiques et quelques placements simples. Du côté des ménages, la bourse reste perçue comme un univers spéculatif réservé aux initiés, à l’image peu rassurante, ce qui renforce le réflexe du compte d’épargne traditionnel, du cash, de l’immobilier informel ou de l’achat d’or.
Pour l’économie de l’UEMOA, le coût d’opportunité est considérable. Un marché actions peu profond offre peu de solutions de fonds propres aux entreprises qui souhaitent grandir. Les ménages disposent de peu d’outils d’épargne à long terme pour préparer la retraite, l’éducation ou la transmission. Une grande partie de l’épargne locale reste bloquée sur des produits à faible rendement réel, souvent érodés par l’inflation. L’Union se prive ainsi d’un levier important de transformation structurante : un marché de capitaux profond et liquide, capable de compléter le crédit bancaire pour financer infrastructures, industrialisation, transition énergétique et innovation.
La question n’est plus seulement de savoir pourquoi la bourse est peu utilisée, mais comment la relier aux dynamiques déjà en cours, comme le mobile money, la banque numérique, la croissance démographique et l’émergence d’une classe moyenne connectée. Cela passe par des applications d’investissement simples reliées aux comptes bancaires et aux portefeuilles mobiles, par des produits d’épargne standardisés pour le grand public, par une éducation financière pratique et par une mobilisation organisée de la diaspora, qui dispose d’une épargne significative mais de peu de canaux structurés pour investir dans les titres régionaux.
Tant que ces chantiers resteront embryonnaires, la bourse dans l’UEMOA continuera d’évoluer à l’ombre des comptes bancaires, très présente dans les communiqués mais absente de la vie financière de la majorité. La vraie inconnue est de savoir si la prochaine décennie verra enfin une bascule de l’épargne de la zone, du simple compte de dépôt vers l’investissement en titres, ou si le marché actions restera le club fermé d’un petit nombre d’initiés.
Patrick Tchounjo



