Gabon–BEAC : un plan de choc pour combler le trou de devises d’ici 2026

Jeudi 4 décembre, le gouvernement gabonais a officiellement tiré la sonnette d’alarme : la position extérieure du pays se dégrade rapidement, sous l’effet conjugué d’une chute des exportations, du maintien d’importations élevées et surtout de retards persistants dans le rapatriement des devises. Selon les données communiquées, la valeur des exportations est passée d’environ 7 399 milliards FCFA en 2023 à 4 600 milliards FCFA en 2024, creusant un déficit de liquidités en monnaies étrangères cruciales pour financer les importations et stabiliser le franc CFA.
Pour répondre à cette vulnérabilité, le Conseil des ministres a annoncé un plan conjoint avec la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) visant à reconstituer et stabiliser les réserves de change d’ici au premier semestre 2026.
Une position extérieure sous pression malgré la rente extractive
L’alerte intervient dans un contexte où l’économie gabonaise reste largement dépendante du secteur extractif, en particulier des hydrocarbures et du manganèse. Le pétrole représente encore la majeure partie des exportations du pays et une part importante du PIB. Dans ce modèle, toute perturbation des flux d’exportation, ou des circuits de rapatriement des recettes associées, se traduit mécaniquement par une tension sur les réserves de change. Lorsque les recettes d’exportation ne reviennent pas dans le circuit bancaire domestique, la BEAC dispose de moins de munitions pour intervenir sur le marché des changes, assurer la liquidité en devises et préserver la stabilité de la zone franc.
Le signal envoyé par Libreville est donc autant macroéconomique que politique : le pays ne peut plus se permettre que des montants significatifs de devises restent immobilisés hors de la zone CEMAC alors que la facture des importations (produits alimentaires, carburants, biens d’équipement) reste élevée.
Le talon d’Achille du rapatriement des devises
Au cœur du problème, le gouvernement pointe l’application insuffisante du règlement CEMAC sur les changes, en vigueur depuis décembre 2018. Ce texte impose le rapatriement obligatoire des recettes d’exportation de biens et services au bénéfice des résidents de la CEMAC, dans un délai généralement fixé à 150 jours à compter de l’exportation. La philosophie de ce cadre est claire : les recettes d’exportation doivent transiter par des banques de la zone CEMAC, et ni les États membres ni la BEAC ne peuvent déroger à cette obligation par simple décision nationale ou contractuelle.
Dans la pratique, le communiqué du gouvernement gabonais met en avant plusieurs causes au non-rapatriement partiel ou tardif des devises. Il évoque la résistance d’une partie des entreprises exportatrices, surtout dans les hydrocarbures et les mines, qui cherchent à optimiser leur trésorerie en maintenant des soldes à l’étranger. Il pointe également des faiblesses du système bancaire et des opérateurs financiers, qui ne disposent pas toujours des outils ni de l’appétit pour un suivi serré des opérations de change. L’application inégale de la réglementation par les autorités de contrôle, dans un contexte où d’autres pays de la CEMAC font face aux mêmes défis, et la lenteur ainsi que la complexité d’accès aux devises dans le circuit officiel, incitent certains acteurs à privilégier des circuits parallèles ou à conserver leurs devises hors de la zone.
Résultat : une partie des recettes ne revient pas dans les délais, voire pas du tout, affaiblissant le matelas de réserves à la disposition de la BEAC pour la zone CEMAC.
Un plan conjoint technique… et politique
Le plan annoncé entre Libreville et la BEAC doit répondre à cette équation délicate : accélérer le retour des devises sans faire fuir les investisseurs. Selon le gouvernement, la réponse publique reposera sur un mix de mesures réglementaires, d’incitations et d’outils de suivi des flux.
Sans dévoiler encore tous les détails, plusieurs axes se dessinent.
Application renforcée de la réglementation des changes
Le gouvernement entend durcir le contrôle du respect du règlement CEMAC sur le rapatriement des recettes, en s’appuyant sur l’expertise de la BEAC et des autorités de supervision régionales, notamment la COBAC pour les banques. Concrètement, cela pourrait passer par des audits ciblés des grandes entreprises exportatrices, en particulier dans l’extractif, par une obligation accrue de reporting des banques sur les opérations d’export et les flux de rapatriement, ainsi que par la mise en place de sanctions graduées, allant de pénalités financières à des restrictions d’accès au marché de change officiel, voire à la suspension d’autorisations pour les contrevenants les plus récidivistes.
Incitations pour rapatrier et recycler les devises localement
Le gouvernement sait toutefois que le bâton ne suffira pas. Le plan mentionne des incitations au rapatriement, qui pourraient inclure un traitement prioritaire des demandes de devises pour les entreprises qui respectent les délais de rapatriement, la promotion d’instruments de couverture de change (lettres de crédit, swaps, forwards) pour réduire le risque perçu par les exportateurs, ainsi qu’un dialogue renforcé avec les majors pétrolières, minières et les traders afin d’aligner leurs pratiques de trésorerie sur les obligations réglementaires.
Cette dimension est d’autant plus sensible que le Gabon, en pleine transition politique depuis le coup d’État d’août 2023, a multiplié les signaux de reprise en main de ses ressources naturelles, notamment avec la nationalisation d’actifs stratégiques au profit de la Gabon Oil Company. L’État doit démontrer que cette souveraineté économique peut coexister avec un cadre de change prévisible et lisible pour les investisseurs.
Suivi numérique des flux et coordination régionale
La coopération avec la BEAC devrait aussi se traduire par un renforcement des systèmes d’information permettant de tracer, en temps quasi réel, les exportations et les entrées de devises associées. À l’échelle régionale, la banque centrale commune aux six pays de la CEMAC cherche depuis plusieurs années à standardiser et digitaliser les procédures de domiciliation et de suivi des exportations. L’objectif est de réduire les angles morts, de limiter les arbitrages réglementaires entre pays voisins et de renforcer la capacité de la BEAC à calibrer sa politique monétaire.
Un exercice d’équilibriste pour Libreville
À court terme, le durcissement attendu sur le rapatriement des devises pourrait avoir un effet mécanique : une remontée des réserves de change, si les entreprises se conforment plus strictement aux délais et si les banques jouent pleinement leur rôle d’intermédiaires. Mais le pari n’est pas sans risque. Si les mesures sont perçues comme trop brutales ou imprévisibles, elles peuvent dégrader le climat des affaires, retarder des décisions d’investissement dans des projets pétroliers, gaziers ou miniers à forte intensité capitalistique, et encourager l’essor de circuits informels ou la délocalisation de certaines opérations.
Tout l’enjeu du plan conjoint Gabon–BEAC sera donc de trouver le point d’équilibre entre discipline de change et attractivité du territoire. Dans une CEMAC où plusieurs États ont déjà été rappelés à l’ordre par le FMI et la BEAC sur le respect des règles de change, Libreville joue une partie qui dépasse ses seules frontières nationales.
Ce qui est en jeu : le coût du financement futur
Au-delà de la technicité apparente du sujet, l’enjeu est concret pour l’économie réelle. Pour l’État, la solidité des réserves conditionne le coût futur de son financement sur les marchés et auprès des bailleurs. Pour les banques, la qualité de la position extérieure influence l’accès aux lignes de refinancement et la capacité à financer le secteur privé. Pour les ménages et les entreprises, la stabilité de la monnaie locale détermine le pouvoir d’achat, la facture d’importation et le risque d’épisodes de pénurie de devises.
En annonçant ce plan avec la BEAC, le gouvernement gabonais tente de reprendre la main sur un sujet longtemps considéré comme purement technique. Les prochains mois diront si le signal est suivi d’effets, et si le pays parvient à transformer ses ressources en un véritable matelas de change plutôt qu’en simples flux qui s’évaporent hors de la région.
Patrick Tchounjo



