Banque : Nabil Kadiri, prend la tête de SCB Cameroun

Le paysage bancaire camerounais continue de se reconfigurer, et Attijariwafa bank entend y jouer un rôle central. Le conseil d’administration de SCB Cameroun a porté son choix, ce 8 décembre 2025, sur le Marocain Nabil Kadiri comme nouveau directeur général de la filiale locale. Sa nomination reste soumise à l’agrément de la Commission bancaire de l’Afrique centrale (COBAC), mais elle trace déjà les contours d’un nouveau cycle pour la banque, désormais sortie de sa phase de redressement.
À 52 ans, ce vétéran du groupe Attijariwafa arrive à la tête d’un établissement assaini et plus rentable, mais confronté à un marché en profonde recomposition, marqué notamment par le retrait de Société Générale du Cameroun. Pour la maison mère marocaine, il s’agit clairement de passer d’une logique de consolidation à une stratégie d’expansion ciblée.
De la gestion de crise à la relance commerciale
L’arrivée de Nabil Kadiri marque une inflexion par rapport au cycle précédent. Son prédécesseur, Alexandre Beziaud, avait été recruté dans un moment de turbulence, alors que SCB Cameroun sortait affaiblie par des affaires judiciaires visant d’anciens dirigeants. La priorité était alors à la stabilisation : restaurer la crédibilité interne, resserrer les procédures, maîtriser le risque et renforcer les fondamentaux opérationnels.
Pendant ses cinq années de mandat, la banque n’a pas ouvert de nouvelle agence, mais elle a redressé ses comptes. Le résultat net, qui évoluait autour de 9 milliards FCFA en 2019, devrait avoisiner 19 milliards FCFA en 2025, selon des estimations internes. Pour un administrateur, « Beziaud a pris une banque chancelante et l’a remise sur ses rails ».
Nabil Kadiri arrive donc sur une base financière bien plus solide, avec un mandat moins défensif. La Camerounaise Madeleine Koum est confirmée au poste de DGA, assurant une continuité locale dans l’équipe de direction, alors qu’Alexandre Beziaud devrait se voir confier d’autres responsabilités au sein du groupe.
Un profil de « deal maker » pour un marché en recomposition
Le choix de Kadiri n’est pas anodin. Diplômé de Kedge Business School, passé par Arthur Andersen, il a rejoint Attijariwafa bank en 2001. En un quart de siècle, il a piloté des fonctions clés : financement de projets, développement de la banque de détail à l’international, puis direction du Pôle Corporate & Investment Banking (CIB) en tant que Directeur exécutif en charge du Coverage Groupe.
Depuis novembre 2024, il occupe le poste stratégique de Directeur exécutif du Pôle Banque de Détail à l’international, chargé de piloter les marchés Retail et Entreprises dans 12 filiales africaines. Il siège par ailleurs aux conseils d’administration des filiales congolaise et tchadienne d’Attijariwafa, et travaille déjà étroitement avec SCB Cameroun.
En résumé, il arrive à Douala avec un double capital : une compréhension fine des dynamiques du groupe et une expérience de l’expansion régionale dans des environnements à risque contrôlé. Selon nos informations, il devrait rapidement lancer un plan stratégique à cinq ans, combinant croissance organique, montée en gamme commerciale et participation plus active aux grands projets structurants du pays.
Cap sur la croissance : réseau, talents et grands projets
Après des années de consolidation, la nouvelle feuille de route devrait être plus offensive. Plusieurs axes se dessinent :
SCB Cameroun envisage d’ouvrir de nouvelles agences, afin de densifier sa présence sur des marchés urbains et semi-urbains encore sous-exploités. Le réseau a été stabilisé mais peu étendu sous Beziaud ; Kadiri devra arbitrer entre présence physique, canaux digitaux et partenariats.
Le renforcement des équipes est également au programme. Jusqu’à 25 recrutements sont évoqués à l’horizon 2026, portant les effectifs à environ 700 collaborateurs. L’objectif est de muscler les forces commerciales, le coverage corporate, les métiers de risque et de conformité, ainsi que les expertises liées au financement de projets.
SCB Cameroun devrait aussi se positionner plus clairement sur les projets structurants du Cameroun : énergie, infrastructures, agro-industrie, télécommunications. Fort de son passé à la tête du CIB et du retail international, Kadiri est bien placé pour structurer des financements syndiqués, aligner la filiale locale sur les capacités du groupe et travailler en cofinancement avec des bailleurs ou d’autres banques commerciales.
La brèche Société Générale : opportunité ou mirage ?
La nomination de Nabil Kadiri intervient dans un contexte clé : le retrait de Société Générale du marché camerounais, où la banque française était jusqu’ici deuxième par la taille du bilan et première en termes de bénéfices. Cette sortie ouvre une brèche que plusieurs acteurs cherchent à exploiter.
Pour Attijariwafa, l’ambition est explicite : attirer une partie des talents de SG, capter des clients corporate historiquement liés au groupe français, et renforcer le positionnement de SCB auprès des grandes entreprises locales et des multinationales. « La clientèle SG est extrêmement exigeante. Celui qui saura répondre à cette attente gagnera bien plus qu’un portefeuille », analyse un cadre du marché.
Le retrait de SG ne joue pas seulement sur la banque de détail et le segment corporate. Attijariwafa veut également muscler ses activités de marché via ASCA et ASCA Asset Management, ses filiales dédiées à l’intermédiation boursière et à la gestion d’actifs. L’espace laissé par Société Générale pourrait rebattre les cartes sur des segments jusque-là très dominés par l’acteur français, notamment les émissions de titres publics, la gestion de trésorerie de grandes entreprises et les produits d’investissement pour institutionnels.
Une concurrence locale de plus en plus offensive
La brèche SG n’est toutefois pas un boulevard. SCB Cameroun, contrôlée à 51 % par Attijariwafa bank et à 49 % par l’État camerounais, fait face à la montée en puissance de plusieurs acteurs locaux et régionaux.
Des banques comme Afriland First Bank, CBC, CCA-Bank ou Africa Golden Bank élargissent leurs portefeuilles, renforcent leur gouvernance et s’imposent progressivement sur le financement de projets structurants, longtemps chasse gardée des multinationales. Elles bénéficient souvent d’une meilleure connaissance du tissu entrepreneurial local, d’une plus grande agilité de décision et d’un ancrage relationnel fort.
Dans ce contexte, Kadiri devra trouver un positionnement différenciant : exploitation du réseau panafricain et international d’Attijariwafa, expertise sectorielle pointue, offres intégrées entre corporate, banque d’investissement et gestion d’actifs, et capacité à structurer des solutions transfrontalières pour les groupes présents sur plusieurs marchés africains.
Risque souverain : l’autre dimension de l’équation
Un autre défi majeur réside dans la structure du portefeuille de risques de SCB Cameroun. La banque accompagne régulièrement l’État dans ses émissions de titres publics et le financement de ses projets. Si cette relation souveraine est une source de revenus stable, elle peut aussi devenir un point de fragilité en cas de dégradation macroéconomique ou de tensions sur la dette publique.
Dans un environnement marqué par des contraintes budgétaires plus fortes et des besoins d’investissement élevés, la question de l’exposition aux risques souverains devient centrale. Une concentration excessive pourrait peser sur les ratios prudentiels et limiter la capacité de la banque à financer le secteur privé, alors même que les autorités et les bailleurs poussent à une plus grande inclusion financière et à un meilleur soutien aux PME.
Nabil Kadiri devra donc arbitrer entre le maintien d’une relation privilégiée avec l’État, souvent vecteur de grands mandats, et la diversification sectorielle du portefeuille, en direction notamment de l’agro-industrie, de l’énergie renouvelable, des télécoms, des services et des chaînes de valeur industrielles naissantes.
Un mandat sous contraintes mais riche en leviers
En prenant les commandes de SCB Cameroun, Nabil Kadiri hérite d’une banque redressée, rentable et solidement adossée à un groupe marocain en croissance sur le continent. Mais il devra composer avec plusieurs contraintes : un environnement réglementaire CEMAC de plus en plus exigeant, la nécessité de digitaliser sans diluer la relation client, une concurrence locale agressive et un contexte macroéconomique régional encore volatil.
Ses atouts sont clairs : une trajectoire interne qui lui donne un accès direct aux centres de décision d’Attijariwafa, une expertise dans le financement de projets et le corporate banking, ainsi qu’une expérience multisite dans plusieurs filiales africaines.
La question, désormais, est de savoir s’il parviendra à transformer la phase de redressement initiée sous Beziaud en cycle de croissance maîtrisée, en capitalisant sur la fenêtre ouverte par le retrait de Société Générale, sans sous-estimer la montée en puissance des banques locales ni les risques de concentration sur l’État.
C’est à cette condition que SCB Cameroun pourra passer du statut de filiale redressée à celui d’acteur de premier plan dans un marché bancaire camerounais plus concurrentiel que jamais.
Patrick Tchounjo



