Cameroun : Emmanuel Wafo se lance dans la finance avec une société à 2 milliards FCFA

Au Cameroun, les grands industriels ne se contentent plus des chaînes de production et des entrepôts. Ils regardent désormais vers les salles de conseil, les comités de crédit et les véhicules d’investissement. Dernier mouvement en date : celui d’Emmanuel Wafo, figure du patronat camerounais, qui fait son entrée structurée dans la finance à travers une nouvelle société dotée d’un capital de 2 milliards FCFA.
Ce montant, significatif à l’échelle d’un marché financier encore peu profond, traduit la volonté de l’entrepreneur de se doter d’un véritable bras financier, capable à terme de peser dans l’écosystème local du crédit, de l’investissement et de l’accompagnement des entreprises.
Un industriel qui structure sa diversification
Emmanuel Wafo appartient à cette génération d’industriels camerounais qui ont bâti leur réputation dans la transformation et la production, avant de lorgner vers les métiers de la finance. Son parcours dans l’industrie, l’agrochimie ou la distribution lui a donné une connaissance fine des contraintes de trésorerie, des besoins de financement de long terme et des difficultés d’accès au crédit formel pour les entreprises locales, en particulier les PME.
En se dotant d’une société capitalisée à 2 milliards FCFA, il franchit une étape : passer d’une logique ponctuelle de soutien financier à ses propres opérations ou à des partenaires, à une plateforme structurée, dotée d’une gouvernance formelle, d’un capital identifié et d’un projet stratégique susceptible de dialoguer avec les banques, les investisseurs institutionnels et, à terme, les régulateurs.
Dans un contexte où les banques camerounaises affichent des bénéfices record mais restent perçues comme prudentes vis-à-vis des PME, l’irruption de capital entrepreneurial dans le champ financier n’est pas anecdotique. Elle suggère la volonté de certains capitaines d’industrie de combler un vide, en se positionnant sur des segments où la demande de financement reste forte et insuffisamment adressée.
Une gouvernance structurée autour d’un conseil d’administration étoffé
La nouvelle société ne se résume pas à une coquille capitalisée. Elle s’appuie sur une gouvernance qui reflète l’ambition de ses promoteurs. Emmanuel Wafo en assurera la présidence du conseil d’administration, rôle stratégique qui lui permettra de fixer les grandes orientations, d’arbitrer les priorités d’investissement et d’incarner le projet vis-à-vis des partenaires externes.
La direction générale est confiée à Peggy Estelle Kapche Bogne, qui aura la charge de l’exécution opérationnelle : déploiement des services, structuration des équipes, gestion des risques, mise en conformité avec les exigences réglementaires et dialogue quotidien avec le marché. Ce tandem président – directrice générale permet d’articuler la vision du fondateur avec une gestion plus technocratique et opérationnelle de l’outil.
Un conseil d’administration de huit membres a par ailleurs été constitué, composé de dirigeants issus de plusieurs secteurs industriels et financiers. Parmi eux figure Jean-Bosco Tahakam Simo, directeur général de World Car Industry S.A, acteur bien connu dans le secteur automobile. La présence de profils venus d’horizons variés (industrie, services, finance) suggère une volonté de croiser les expertises : connaissance des besoins des entreprises, compréhension des risques sectoriels et maîtrise des standards financiers.
Dans un environnement où la gouvernance est scrutée de près par les autorités de régulation et les partenaires financiers internationaux, cette architecture de décision constitue un élément clé de crédibilité.
Un pari sur la montée de la finance “made in Cameroun”
L’entrée d’Emmanuel Wafo dans la finance s’inscrit dans une tendance plus large : celle de la montée en puissance d’une finance “made in Cameroun”, portée par le capital local, qui ne se contente plus des secteurs traditionnels (immobilier, distribution, import-export) mais investit dans des structures financières aux ambitions régionales.
Sans dévoiler encore tous les contours de son modèle économique, la nouvelle société capitalisée à 2 milliards FCFA pourrait se positionner à l’intersection de plusieurs besoins : accompagnement des entreprises en croissance, structuration de financements adaptés à l’industrie, prise de participation minoritaire dans des projets à fort potentiel, ou mise en place de solutions de financement hybrides, là où le crédit bancaire classique atteint ses limites.
Pour Emmanuel Wafo, il s’agit aussi de capitaliser sur une image construite dans l’économie réelle pour bâtir une offre financière perçue comme proche des besoins des entrepreneurs. À l’heure où les fintechs bousculent les codes de l’intermédiation, cette approche industrielle de la finance peut constituer un positionnement différenciant : partir des besoins du terrain plutôt que des produits standardisés.
Opportunités et contraintes d’un marché en recomposition
Le pari n’est pas sans défis. Le secteur financier camerounais est en pleine recomposition, entre renforcement des exigences prudentielles de la Cobac, montée en puissance des banques locales, arrivée de nouveaux acteurs panafricains et pression croissante de la digitalisation.
Pour la nouvelle société d’Emmanuel Wafo, la question sera de trouver sa place dans cet écosystème très régulé, en clarifiant son statut (société d’investissement, holding, institution financière non bancaire, plateforme d’accompagnement) et en construisant des partenariats intelligents avec les banques traditionnelles plutôt qu’en se positionnant frontalement en concurrence.
La taille du capital (2 milliards FCFA) est suffisante pour lancer des opérations ciblées, tester des modèles et bâtir un track record crédible. Mais elle reste modeste à l’échelle des besoins de financement du tissu productif camerounais. À moyen terme, la capacité de la structure à lever des ressources additionnelles, à attirer d’autres investisseurs privés ou institutionnels et à dialoguer avec les bailleurs de fonds sera déterminante.
Un signal pour l’écosystème entrepreneurial
Au-delà de la seule trajectoire d’Emmanuel Wafo, la création d’une société financière capitalisée à 2 milliards FCFA envoie un signal à l’écosystème entrepreneurial camerounais : les industriels ne se contentent plus de demander des financements, certains choisissent de devenir eux-mêmes acteurs de la chaîne financière.
Si ce mouvement se confirme – avec d’autres entrepreneurs de premier plan structurant à leur tour des véhicules financiers – il pourrait contribuer à diversifier les sources de capitaux disponibles, à développer des approches plus patientes et plus proches du terrain, et à renforcer la capacité du pays à financer sa propre croissance.
Reste à voir si cette incursion d’Emmanuel Wafo dans la finance restera un geste isolé ou le premier acte d’une montée en puissance durable d’un “capitalisme financier” camerounais porté par ses propres industriels. C’est sur la capacité de cette nouvelle société à exécuter une stratégie claire, à gérer ses risques et à démontrer son impact sur l’économie réelle que se jugera, dans les prochaines années, la pertinence de ce pari.
Patrick Tchounjo



