Cameroun : Fitch confirme la solidité d’UBA, mais met en garde contre la vulnérabilité de ses actifs souverains

Dans sa dernière revue publiée le 13 novembre 2025, Fitch Ratings a confirmé la note de défaut émetteur à long terme (IDR) de UBA Cameroon S.A. à “B-”, assortie d’une perspective stable. La décision entérine la solidité financière de la filiale camerounaise du groupe nigérian United Bank for Africa, tout en soulignant la vulnérabilité croissante de la qualité de ses actifs. Derrière ce statu quo apparent sur la notation, l’agence envoie un message nuancé : UBA Cameroun reste rentable, bien financée et soutenue par sa maison mère, mais son modèle, fortement adossé aux titres souverains de la CEMAC, l’expose directement aux fragilités des États de la région.
Une filiale clé d’un groupe panafricain, toujours bien notée
Pour Fitch, la note “B-” reflète d’abord le profil de crédit consolidé du groupe UBA, dont la diversification géographique et la capitalisation ont été récemment saluées par l’agence. UBA Cameroun est l’une des filiales les plus importantes du groupe : elle représente une part significative des actifs consolidés et une contribution notable au revenu net hors Nigeria, ce qui en fait un pivot de la stratégie d’expansion de la banque en Afrique centrale.
L’agence rappelle également les bons niveaux de rentabilité de la filiale, avec une progression soutenue du revenu net et un retour sur fonds propres jugé élevé au regard du contexte local. Le profil de liquidité et de financement est qualifié de stable, soutenu par une base de dépôts diversifiée et une part importante de ressources à vue, caractéristiques des banques de détail africaines. En apparence, le message est positif : UBA Cameroun est rentable, liquide, solidement adossée à un groupe panafricain de premier plan, et conserve une notation internationale alignée sur le risque souverain du pays.
Une solidité financière grevée par un profil de risque élevé
Derrière cette image de robustesse, Fitch insiste cependant sur un point de fragilité structurelle : le profil de risque est jugé élevé. Dans son rapport de mise à jour, l’agence décrit UBA Cameroun comme évoluant dans un environnement opérationnel difficile, avec un modèle d’affaires concentré et une qualité d’actifs qualifiée de faible, malgré la bonne performance des résultats.
La banque opère dans un contexte où les grandes entreprises, considérées comme les meilleurs risques privés du pays, restent pénalisées par un climat des affaires complexe, marqué par des faiblesses de l’État de droit et une lourdeur réglementaire et fiscale. Cette situation limite les opportunités de crédit aux acteurs privés de qualité et encourage les banques à se replier sur ce qui est perçu comme moins risqué : le secteur public et les titres souverains. Fitch en conclut que la structure du bilan d’UBA Cameroun est trop concentrée sur des poches de risque qu’elle ne maîtrise pas pleinement, en particulier le risque de défaut des États de la CEMAC.
Une exposition massive aux titres souverains CEMAC
La principale alerte de l’agence concerne la forte exposition de la banque aux titres souverains émis par des États faiblement notés de la CEMAC. Les données récentes suggèrent qu’une part importante des actifs de la banque est investie dans des instruments de dette publique de la sous-région. Cette concentration fait d’UBA Cameroun un créancier important des États, mais elle rend également l’établissement particulièrement vulnérable à tout choc souverain, qu’il s’agisse d’une restructuration de dette, de retards de paiement ou de tensions de liquidité publique.
Parallèlement, le profil de crédit du Cameroun lui-même reste fragile. Fitch maintient la note souveraine du pays dans la catégorie spéculative, en raison de faiblesses persistantes de la gestion des finances publiques, de retards de paiement sur certaines composantes de la dette extérieure et d’arriérés intérieurs. En d’autres termes, la solidité apparente d’UBA Cameroun repose en partie sur des actifs qu’un choc souverain pourrait rapidement fragiliser. Une dégradation de la situation budgétaire ou un épisode de stress sur les trésoreries publiques pourraient déprécier la valeur de ce portefeuille, amputer les fonds propres de la banque et dégrader sa capacité à financer l’économie réelle.
Un portefeuille de prêts limité et une franchise encore modérée
Fitch attire également l’attention sur la capacité de la banque à développer un portefeuille de crédits suffisamment diversifié. L’agence considère la franchise d’UBA Cameroun comme modérée, avec un pouvoir de tarification inférieur à celui des plus grandes banques du marché, ce qui limite ses marges de manœuvre commerciales. Faute de pouvoir se positionner de manière agressive sur certains segments de clientèle, la banque a privilégié le repli sur le secteur public et les titres d’État, perçus comme plus sûrs et très rentables à court terme.
Cette stratégie réduit la diversification de ses sources de revenus, accentue sa dépendance à la signature souveraine et limite son impact sur le financement des petites et moyennes entreprises, des ménages et des secteurs innovants. Pour Fitch, cette combinaison d’une franchise modérée, d’un portefeuille de prêts étroit et d’une forte concentration sur le souverain constitue un élément central de la vulnérabilité des actifs de la banque, même si les profits restent élevés.
Profitabilité élevée, capitalisation vulnérable
L’agence reconnaît en revanche la bonne profitabilité de la filiale. Le revenu net a fortement progressé ces dernières années, avec un retour sur fonds propres qui place UBA Cameroun parmi les banques les plus rentables du pays. Le problème, selon Fitch, ne porte pas sur la capacité de la banque à générer du résultat, mais sur la vulnérabilité de sa capitalisation face à un choc. Une dégradation rapide de la valeur du portefeuille de titres publics, par exemple à la suite d’une restructuration de dette ou d’un stress prolongé sur les finances des États de la CEMAC, pourrait entamer les fonds propres et détériorer les ratios réglementaires.
Fitch souligne ainsi que la solidité actuelle de la banque ne doit pas masquer la fragilité de certains équilibres, notamment un profil de risque élevé, une qualité d’actifs jugée faible et une dépendance à des contreparties publiques elles-mêmes notées dans la catégorie spéculative.
Un signal pour l’ensemble du système bancaire camerounais
Au-delà du seul cas d’UBA Cameroun, cette analyse résonne comme un signal pour l’ensemble du secteur bancaire camerounais et, plus largement, pour les banques de la sous-région. De nombreux établissements ont, ces dernières années, accru leurs positions en titres souverains, attirés par des rendements élevés sur les adjudications et les obligations du Trésor. Cette stratégie a soutenu les marges d’intérêts, mais elle a créé une interdépendance forte entre la santé des États et celle des banques : plus l’endettement public augmente, plus les bilans bancaires sont exposés à un risque de choc souverain.
Dans ce contexte, la décision de Fitch de maintenir la note d’UBA Cameroun à “B-” avec une perspective stable est à la fois une marque de confiance et un avertissement. La banque demeure un acteur solide du paysage financier camerounais, mais son modèle devra évoluer vers une plus grande diversification des actifs et une gestion plus prudente de la concentration sur les titres souverains si elle veut préserver sa résilience à long terme.
Patrick Tchounjo

