Cemac : un rapport choc de la Cobac révèle un système bancaire à deux vitesses

Le vernis de l’union monétaire ne suffit plus à masquer les fissures. Le dernier rapport 2024 de la Commission bancaire d’Afrique centrale (Cobac) dresse un tableau sans filtre du secteur bancaire en zone Cemac : derrière un cadre réglementaire commun, les systèmes bancaires nationaux évoluent désormais à des vitesses très différentes, avec des faiblesses qui, si elles ne sont pas corrigées, pourraient peser sur la stabilité financière régionale.
Sur les 55 banques actives dans la sous-région, 22 ne respectent pas au moins une exigence prudentielle. Autrement dit, près de quatre établissements sur dix sont en non-conformité partielle avec des règles de base comme les fonds propres, la division des risques, la liquidité ou la couverture des immobilisations. Un chiffre élevé, mais qui ne reflète pas une réalité homogène d’un pays à l’autre. C’est précisément cette hétérogénéité que la Cobac met en lumière.
Créances douteuses : la fracture Cameroun–Gabon–Congo vs Tchad–Centrafrique–Guinée Équatoriale
Les divergences sont particulièrement visibles sur le front des créances douteuses. Au niveau régional, les données agrégées de la BEAC indiquent que les crédits en souffrance atteignent 1 536 milliards de FCFA en 2024, en hausse de 6,3%. Mais derrière ce pourcentage, les trajectoires nationales vont dans des directions opposées.
Le Cameroun enregistre une flambée des créances douteuses avec une progression de 31,4%, signe d’une dégradation marquée de la qualité du portefeuille de crédits dans la première économie de la zone. Le Gabon suit avec une hausse de 14,5%, et le Congo affiche une augmentation de 5,6%. Dans ces pays, la combinaison de risques souverains élevés, de tensions sur les finances publiques et de fragilités sectorielles se traduit directement dans les bilans bancaires.
À l’inverse, le Tchad, la Centrafrique et la Guinée équatoriale montrent une trajectoire beaucoup plus favorable. Les créances douteuses reculent de 11% au Tchad, de 15,1% en Centrafrique et de 5,4% en Guinée équatoriale. Ces reculs traduisent soit des efforts de restructuration et de nettoyage de bilans, soit une reprise partielle de certains secteurs porteurs. Dans tous les cas, ils illustrent des dynamiques nationales très contrastées au sein même d’une union supposément intégrée.
Ratios prudentiels : des banques solides face à des établissements en zone de turbulence
La Cobac pointe également des écarts de situation sur les ratios prudentiels. Certaines banques, souvent historiques et fragilisées, peinent toujours à maintenir un niveau suffisant de fonds propres ou à respecter les limites d’exposition aux grands risques. Elles restent sous pression face à des normes renforcées ces dernières années, dans un environnement où la rentabilité bancaire reste étroite et la qualité des actifs hétérogène.
À l’opposé, des établissements mieux capitalisés, disposant parfois d’adossements de groupes panafricains ou internationaux, parviennent à se conformer aux nouvelles exigences et à absorber plus facilement les chocs. Ces écarts créent de facto une zone Cemac à deux vitesses : d’un côté, des systèmes bancaires qui s’alignent progressivement sur les standards internationaux ; de l’autre, des réseaux où la vulnérabilité reste élevée, alimentée par des risques pays, des gouvernances internes friables et des marges de manœuvre limitées.
Cette asymétrie complique la mise en œuvre de la politique prudentielle régionale : une même règle ne produit pas les mêmes effets selon la structure des bilans, la solidité des actionnaires, l’exposition aux États et la profondeur du marché.
Un risque pour la stabilité financière et l’intégration régionale
Pour la Cobac, le diagnostic est clair : ces divergences ne sont pas qu’un enjeu technique, elles posent un risque direct pour la stabilité financière régionale. Plus la fracture se creuse entre systèmes bancaires solides et systèmes sous tension, plus le risque d’effet domino augmente en cas de choc externe ou de crise locale.
L’un des défis majeurs pour la Cemac est que ces écarts freinent aussi l’intégration économique. Un secteur bancaire fragmenté, où certaines places servent d’ancrage et d’autres restent structurellement fragiles, limite l’extension des réseaux, la circulation optimale de la liquidité et le développement de produits financiers véritablement régionaux. Les banques hésitent à se déployer sur certains marchés perçus comme trop risqués, les coûts de financement restent plus élevés là où les créances douteuses pèsent lourd, et la confiance interbancaire se construit difficilement sur une base aussi hétérogène.
Le rapport rappelle que la stabilité du système ne dépend pas seulement de la bonne santé des banques les plus fortes, mais aussi de la capacité des établissements les plus fragiles à se recapitaliser, à assainir leurs portefeuilles et à renforcer leurs dispositifs de gestion des risques.
La Cobac sous pression : surveiller, sanctionner, accompagner
Face à cette situation, la Cobac est placée devant une équation délicate. D’un côté, elle doit continuer de jouer son rôle de gardien de la stabilité en exigeant une stricte application des normes, en imposant des plans de redressement et, si nécessaire, en poussant à des restructurations ou à des consolidations. De l’autre, elle doit tenir compte de contextes nationaux où les marges de recapitalisation sont faibles, les États eux-mêmes sous pression et les actionnaires parfois peu enclins à injecter de nouveaux fonds.
Le régulateur souligne toutefois un point positif : la performance plus solide observée dans certains pays prouve qu’un redressement est possible sous réserve de volonté politique, de discipline de gestion et de contrôle continu. La trajectoire descendante des créances douteuses au Tchad, en Centrafrique et en Guinée équatoriale est citée comme un signe que la combinaison de réformes, de supervision renforcée et d’efforts de nettoyage de bilans peut produire des résultats.
Pour la Cemac, l’enjeu des prochaines années sera de réduire ces écarts au lieu de les laisser se creuser. Si les fragilités restent cantonnées à quelques poches isolées, le système peut absorber les chocs. Si elles se généralisent ou si une crise localisée s’étend à d’autres marchés, c’est l’ensemble de l’architecture bancaire régionale qui sera sous tension.
Patrick Tchounjo



