L’AFC séduit les banques japonaises avec un prêt Samurai sursouscrit de 524 millions $

L’Africa Finance Corporation (AFC) vient de réussir un coup stratégique à Tokyo. En levant l’équivalent de 524 millions de dollars via un prêt Samurai sursouscrit, l’institution panafricaine basée à Lagos signe la plus importante opération de ce type de son histoire. Au-delà du montant, c’est le message envoyé qui compte : les investisseurs japonais valident désormais clairement le profil de crédit et le mandat de développement de l’AFC.
Dans un contexte où l’Afrique cherche désespérément des capitaux de long terme pour combler son déficit d’infrastructures, voir les banques japonaises surenchérir sur une opération Samurai portée par une institution africaine n’a rien d’anodin. C’est le signe d’un basculement silencieux : l’infrastructure africaine devient progressivement une classe d’actifs lisible pour les grandes places asiatiques.
Un prêt Samurai sursouscrit, symbole d’une confiance installée
Le prêt, structuré sur trois ans, combine l’équivalent de 505 millions de dollars et 3 milliards de yens, mobilisés auprès d’un syndicat particulièrement large de banques japonaises. La demande a largement dépassé le montant initialement recherché, indiquant que le marché ne se contente plus de “tester” le risque AFC : il le recherche activement.
La sursouscription est un indicateur clé. Dans un environnement où les exigences de conformité, de notation et de transparence sont particulièrement élevées, voir des institutions nippones se positionner massivement sur un crédit pour une institution africaine traduit un changement de perception. L’AFC n’apparaît plus comme un émetteur exotique, mais comme un acteur régulier de la place, avec un historique, un track record et une profondeur de portefeuille jugés suffisamment solides.
Dix ans d’ancrage patient sur les marchés asiatiques
Ce succès n’est pas un accident isolé. Depuis son premier prêt Samurai en 2019, l’AFC a patiemment construit une crédibilité japonaise. L’institution a notamment garanti en 2023 une obligation Samurai de 75 milliards de yens émise par l’Égypte, montrant qu’elle sait aussi jouer un rôle d’arrangeur et de soutien pour des souverains africains.
En début d’année, l’AFC a obtenu la notation A+ avec perspective stable de l’agence japonaise JCR, un sésame indispensable pour les investisseurs institutionnels nippons les plus contraints par leurs mandats. Le précédent prêt Samurai de l’AFC, équivalent à 419 millions de dollars, arrivé à échéance en octobre, a été entièrement remboursé, renforçant la confiance dans sa capacité d’exécution et de gestion du risque.
Au-delà du seul Japon, la présence asiatique de l’institution est déjà solide : en dix ans, l’AFC a levé plus de 1,3 milliard de dollars sur les marchés asiatiques via des facilités chinoises, indiennes et coréennes. Le nouveau prêt Samurai marque toutefois une montée en gamme : le Japon s’affirme désormais comme pilier central de sa stratégie de financement.
TICAD comme vitrine et tremplin
L’opération intervient dans le sillage de la conférence internationale TICAD, qui sert de plateforme de dialogue entre le Japon et l’Afrique. La tournée de présentation de l’AFC en marge de cet événement a permis de verrouiller une base élargie de prêteurs.
De nouvelles banques telles que Bank of Taiwan, China Construction Bank Corporation, First Commercial Bank, Taiwan Business Bank, Chiba Bank, Shizuoka Bank ou encore Yamanashi Chuo Bank se sont ajoutées au tour de table. Cette diversification du pool de prêteurs est un signal fort : le financement de l’AFC n’est plus l’affaire de quelques institutions pionnières, mais d’un écosystème asiatique élargi, où banques japonaises et asiatiques se retrouvent autour d’un même émetteur africain.
Pour Banji Fehintola, membre du directoire et directeur des services financiers de l’AFC, cette mobilisation illustre une confiance installée sur la durée. Le Japon n’est plus seulement un marché opportuniste, mais un ancrage stratégique dans la cartographie de financement de l’institution.
Capitaux japonais, déficit d’infrastructures africain : un mariage de raison
Pour l’AFC, ce prêt Samurai record est bien plus qu’un exercice de refinancement. Il s’inscrit dans une stratégie assumée : s’appuyer sur la profondeur des marchés asiatiques pour combler un déficit d’infrastructures africain évalué à plusieurs dizaines de milliards de dollars par an.
Les ressources levées serviront à financer les activités générales de la corporation, en cohérence avec son mandat : énergie, transports, logistique, télécoms, zones industrielles, transition énergétique. L’AFC se positionne comme un “orchestrateur” capable d’agréger des capitaux internationaux, de structurer des projets complexes et de partager les risques avec les États, les banques locales et les investisseurs institutionnels.
Pour les banques japonaises, l’intérêt est double. D’un côté, elles accèdent à une exposition diversifiée aux actifs africains, structurée via une institution dotée de standards de gouvernance et de suivi de risques compatibles avec leurs contraintes internes. De l’autre, elles répondent à une demande croissante de leurs propres clients – fonds, assureurs, investisseurs de long terme – en quête de rendement dans un environnement domestique de taux bas prolongés.
Vers un nouveau statut sur les marchés internationaux ?
En consolidant son ancrage à Tokyo, l’AFC envoie aussi un signal à d’autres places financières. Une présence régulière et réussie sur le marché Samurai peut contribuer à abaisser progressivement le coût de financement de l’institution, à élargir sa base d’investisseurs et à renforcer sa position dans d’autres devises et sur d’autres segments (eurobonds, prêts syndiqués, financements hybrides).
Pour les marchés africains, cette trajectoire pose une question en creux : combien d’institutions financières panafricaines sont aujourd’hui capables de jouer dans cette ligue, avec des opérations régulières sur les marchés de capitaux asiatiques, une notation solide et une capacité à attirer des capitaux à grande échelle ?
Le prêt Samurai de 524 millions de dollars ne règle évidemment pas à lui seul le déficit d’infrastructures du continent. Mais il confirme qu’un acteur africain peut, en moins de deux décennies, se hisser au rang de référence crédible pour les investisseurs japonais.
Reste à voir si cette dynamique inspirera d’autres institutions régionales et si, à terme, le financement des routes, ports, centrales électriques et réseaux numériques africains deviendra un segment naturel des portefeuilles asiatiques, au même titre que les infrastructures d’autres régions émergentes.
Patrick Tchounjo



