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Rachat d’actifs: Standard Chartered plie bagage, Access Bank s’installe en force à Douala et Yaoundé

C’est officiel : Access Bank Plc prend le contrôle de Standard Chartered Bank Cameroun. Le groupe nigérian a bouclé le rachat de la filiale locale du géant britannique, une opération annoncée par un communiqué daté du 5 décembre 2025, qui confirme le transfert des activités de Standard Chartered Cameroun vers Access Bank. Ce deal, négocié de longue date, marque un tournant dans le paysage bancaire camerounais, où les acteurs africains prennent de plus en plus le relais des banques historiques occidentales.

Cette cession s’inscrit dans la stratégie globale de Standard Chartered, qui a annoncé dès 2022 sa volonté de se retirer de sept marchés en Afrique et au Moyen-Orient pour simplifier son modèle, gagner en rentabilité et se concentrer sur les marchés jugés les plus porteurs. Pour Access Bank, à l’inverse, l’heure est à l’expansion agressive : le groupe nigérian a signé des accords pour reprendre les activités de Standard Chartered en Angola, au Botswana, en Zambie, au Cameroun, en Gambie, en Sierra Leone, ainsi que les activités de banque de détail et d’entreprise en Tanzanie.

Standard Chartered se retire, Access Bank appuie sur l’accélérateur

Dans le communiqué officialisant l’opération, la direction Afrique de Standard Chartered rappelle que la décision de cession répond à un choix stratégique : réduire la complexité, tailler dans les marchés jugés trop petits ou peu rentables, et redéployer le capital vers des zones à plus fort potentiel. Derrière le langage feutré, un message clair : le Cameroun n’est plus un marché prioritaire pour la banque britannique, qui réorganise son exposition sur le continent. African Law & Business

Access Bank, au contraire, voit dans le Cameroun un hub clé en Afrique centrale. Alors que StanChart se retire après des décennies de présence dans le pays, le groupe nigérian avance ses pions pour bâtir une plateforme panafricaine de services financiers. L’intégration de Standard Chartered Cameroun permet à Access d’accélérer d’un coup sur plusieurs segments : banque d’entreprise, financement du commerce international, services aux grandes entreprises et clientèle haut de gamme, qui constituaient le cœur de métier de la banque britannique.

L’opération a été finalisée au terme d’un long parcours réglementaire, impliquant notamment la Commission bancaire de l’Afrique centrale (Cobac) et les instances communautaires de la CEMAC. Une décision publiée en 2024 par la Commission de la CEMAC a d’ailleurs examiné les effets concurrentiels de cette concentration, en soulignant les synergies et économies d’échelle attendues de la fusion Access Bank Cameroon–Standard Chartered Bank Cameroon.

Access Bank Cameroon, une locomotive déjà lancée avant le deal

Si ce rachat marque un saut de taille, Access Bank Cameroon avait déjà enclenché une montée en puissance sur le marché local. En 2024, la banque revendiquait une hausse spectaculaire des dépôts de 84,81 %, passant de 79 milliards FCFA en décembre 2023 à 146 milliards FCFA en décembre 2024, soit 67 milliards FCFA de ressources additionnelles collectées en un an. En face, les crédits à la clientèle s’établissaient à 17 milliards FCFA, signe d’une banque encore prudente sur le risque, mais agressive sur la conquête de dépôts.

La filiale camerounaise affichait également un résultat net de 3,5 milliards FCFA et une progression de 4 % du retour sur fonds propres. Pour une banque encore jeune sur le marché, ces indicateurs racontent une histoire simple : Access Bank Cameroon était déjà en phase de décollage avant même l’intégration des activités de Standard Chartered.

Avec ce rachat, la banque consolide son ancrage à Douala et Yaoundé, où elle opère déjà cinq agences. L’absorption du réseau et des portefeuilles de Standard Chartered doit lui permettre d’élargir rapidement sa base de clients, plus de 22 000 à ce jour et de densifier sa présence sur les segments corporate, grandes entreprises et clientèle internationale, segments historiquement dominés par les grands groupes étrangers.

Un deal qui rebat les cartes de la concurrence bancaire au Cameroun

Pour le marché camerounais, ce rachat est bien plus qu’un simple changement d’enseigne. Le retrait d’une banque britannique et la montée en puissance d’un champion nigérian illustrent une recomposition silencieuse du capital bancaire en Afrique francophone : moins d’acteurs occidentaux, plus de groupes africains à l’offensive, capables de jouer à la fois sur les marchés domestiques et sur les corridors régionaux.

Access Bank apporte avec elle un réseau étendu de filiales dans 14 pays africains et une présence internationale au Royaume-Uni, aux Émirats arabes unis, en Chine, au Liban, en France et en Inde. Cette architecture doit permettre aux clients de l’ex-Standard Chartered Cameroun de s’insérer dans une plateforme de paiements, de transferts et de financement du commerce largement panafricaine, avec des passerelles vers l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie.

Pour les entreprises camerounaises tournées vers l’export, la promesse est claire : plus d’options pour financer leurs flux, sécuriser leurs opérations de trade finance et structurer des financements complexes avec un interlocuteur qui connaît les deux mondes – africain et international. Mais le défi d’Access Bank sera de prouver qu’elle peut maintenir, voire améliorer, les standards de qualité de service et de gestion des risques auxquels les clients de Standard Chartered étaient habitués.

Ce que surveiller maintenant : intégration, gouvernance et risque de concentration

La vraie bataille commence après la signature. L’intégration opérationnelle des équipes, des systèmes et des cultures d’entreprise sera déterminante. Une fusion mal gérée peut faire fuir les meilleurs talents et les plus gros clients. À l’inverse, une transition fluide peut transformer ce rachat en véritable saut de taille pour Access Bank Cameroon.

Pour les autorités (Cobac, Commission CEMAC et Banque des États de l’Afrique centrale) le sujet est double. Il s’agit d’une part d’éviter un risque de concentration excessive dans certains segments, et d’autre part de s’assurer qu’un acteur transfrontalier aussi ambitieux reste bien arrimé aux exigences prudentielles et de conformité de la région.

Dans un environnement où le coût du capital monte, où les exigences de transparence se durcissent et où la compétition sur les services digitaux s’intensifie, le rachat de Standard Chartered Cameroun par Access Bank apparaît comme un test grandeur nature : celui de la capacité des banques africaines à reprendre la main sur leurs marchés tout en restant crédibles aux yeux des investisseurs globaux.

Si Access réussit son pari, le Cameroun pourrait devenir l’une de ses vitrines en Afrique francophone. Dans le cas contraire, ce deal emblématique restera comme l’illustration qu’un changement de drapeau ne suffit jamais à faire une stratégie.

Patrick Tchounjo

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