UEMOA : la mobilisation des ressources au cœur de l’Assemblée générale du CCT à Dakar

La question du financement des territoires s’impose de plus en plus comme un test de crédibilité pour l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest. Réunis à Dakar ce mardi 25 novembre, les membres du Conseil des collectivités territoriales de l’UEMOA (CCT-UEMOA) ont ouvert les travaux de leur deuxième assemblée générale ordinaire autour d’un thème explicite : « La mobilisation des ressources au profit des collectivités territoriales : défis et opportunités ».
Derrière ce thème, les maires, présidents de conseils régionaux et représentants locaux des huit pays de l’Union mettent le doigt sur un paradoxe désormais structurel : les collectivités territoriales voient leurs compétences s’élargir en matière d’éducation de base, de santé de proximité, d’aménagement urbain, de services publics locaux ou de développement économique, mais la courbe des ressources suit péniblement. Les débats portent à la fois sur le rapport d’activité du CCT-UEMOA et sur l’état d’avancement des réflexions engagées avec la Commission de l’UEMOA et les États membres pour doter les collectivités d’instruments financiers à la hauteur des besoins.
Des compétences transférées, des ressources qui peinent à suivre
Dans la plupart des pays de l’Union, les textes de décentralisation ont formellement transféré de nombreuses compétences aux communes, départements et régions. Mais sur le terrain, les représentants des collectivités dénoncent un découplage persistant entre compétences et ressources.
Les budgets locaux restent fortement dépendants des transferts de l’État, eux-mêmes soumis aux tensions budgétaires nationales, aux cycles électoraux et à la volatilité des recettes fiscales. Les recettes propres – taxes locales, fiscalité foncière, redevances sur les services, droits de marchés – demeurent faibles, mal recouvrées et souvent peu sécurisées sur le plan juridique. Les marges de manœuvre pour investir dans les infrastructures de base, moderniser les services urbains ou financer des projets de résilience climatique restent limitées, alors que la demande augmente sous l’effet de l’urbanisation rapide et de la croissance démographique.
À Dakar, les discussions mettent ainsi en lumière la nécessité de rénover en profondeur le cadre de la fiscalité locale, de stabiliser et rendre plus prévisibles les transferts de l’État, et de clarifier les circuits de financement des compétences effectivement transférées.
Au-delà de la fiscalité locale : diversifier les sources de financement
La notion de « mobilisation des ressources » retenue par le CCT-UEMOA va au-delà de la seule fiscalité. Les collectivités explorent désormais l’ensemble du spectre des financements possibles, qu’il s’agisse de partenariats avec les banques commerciales pour financer des équipements, de recours prudent à l’emprunt local ou régional pour les collectivités les mieux structurées, ou encore de mécanismes de cofinancement avec le secteur privé via des partenariats public-privé, des concessions ou des baux de longue durée.
L’idée qui se dessine est celle d’un modèle combinant ressources fiscales propres mieux sécurisées, transferts d’État plus transparents, et accès encadré au crédit bancaire ou aux marchés de capitaux régionaux. Pour cela, les élus locaux demandent un cadre régional plus clair : quelles collectivités peuvent emprunter, selon quelles règles, pour quels types de projets, avec quels plafonds d’endettement, et sous quel contrôle administratif et budgétaire.
Le CCT-UEMOA cherche ainsi à poser les bases d’un référentiel commun, afin d’encourager l’innovation financière locale tout en évitant le risque d’un endettement désordonné des collectivités territoriales.
Relier davantage les collectivités au système bancaire et aux marchés
Pour le secteur bancaire et financier de l’UEMOA, le débat ouvert à Dakar est loin d’être théorique. Les collectivités territoriales représentent un gisement potentiel de projets – marchés, gares routières, voiries, éclairage public, digitalisation des services, gestion des déchets, aménagement de zones d’activités – mais ce gisement reste sous-exploité.
Nombre de banques commerciales se montrent prudentes. Elles invoquent l’absence de garanties claires, la faiblesse de l’information financière, ou encore le manque de cadre pour l’emprunt local. Les quelques expériences de prêts aux collectivités ou d’émissions de type “obligations municipales” sur le marché régional ont mis en évidence à la fois le potentiel et les limites actuelles de la structuration.
L’Assemblée générale du CCT-UEMOA examine précisément comment mieux connecter les collectivités au système financier régional. Il est notamment question d’harmoniser les outils de planification, d’améliorer la qualité des comptes locaux, de renforcer les capacités en ingénierie financière et de réfléchir à des mécanismes régionaux de garantie ou de mutualisation des risques qui faciliteraient l’entrée des banques et des investisseurs institutionnels sur ce segment.
Gouvernance locale : une condition clé pour attirer les financements
Derrière la question des ressources se profile aussi un enjeu de gouvernance. Les partenaires techniques et financiers comme les États conditionnent de plus en plus leurs soutiens à la transparence, au contrôle des dépenses, à la reddition des comptes et à la capacité de suivre l’impact des investissements.
Pour transformer les défis en opportunités, les collectivités doivent renforcer leurs capacités internes en matière de gestion budgétaire, de maîtrise d’ouvrage publique, de passation des marchés, de suivi-évaluation et de digitalisation des régies de recettes. Sans amélioration de la gouvernance locale, les banques et les investisseurs institutionnels resteront réticents à s’engager davantage sur des financements de long terme à destination des territoires.
À l’inverse, une mobilisation accrue de ressources bien gérées peut produire un effet multiplicateur sur le développement local : infrastructures de base mieux entretenues, services sociaux de proximité plus accessibles, environnement plus attractif pour les PME, projets d’adaptation climatique mieux financés.
Un test pour le CCT-UEMOA dans le paysage régional
Cette deuxième assemblée générale ordinaire constitue un test pour le CCT-UEMOA, encore jeune dans l’architecture institutionnelle de l’Union. Créé pour porter la voix des territoires auprès des organes communautaires, le Conseil doit désormais montrer sa capacité à peser concrètement sur l’agenda des réformes, en particulier sur le dossier sensible des finances locales.
En faisant de la mobilisation des ressources son thème central à Dakar, le CCT-UEMOA envoie un signal : sans un financement plus robuste, plus prédictible et plus diversifié des collectivités territoriales, les objectifs de convergence, de croissance inclusive et de cohésion sociale de l’UEMOA resteront fragiles.
Les conclusions de cette assemblée générale seront suivies de près par les États, les banques, les partenaires techniques et financiers, mais aussi par les acteurs locaux eux-mêmes. En toile de fond, une question simple, mais déterminante, demeure : l’UEMOA est-elle prête à passer d’une décentralisation surtout juridique à une décentralisation pleinement financée, capable de transformer concrètement le quotidien des populations dans les territoires ?
Patrick Tchounjo



