BGFI Holding : analyse du blocage de son entrée en Bourse

Un projet ambitieux pour la première banque régionale
Le projet d’introduction en Bourse de BGFI Holding Corporation (BHC), maison‑mère du groupe BGFIBank, s’inscrivait dans le plan stratégique Dynamique 2025. Lors de l’assemblée générale extraordinaire du 25 juin 2025, trois résolutions ont été adoptées : la validation du projet de cotation, l’augmentation du capital social de 15,7 milliards FCFA et l’adoption d’une nouvelle structure de gouvernance. L’objectif était multiple :
- augmenter la capacité de mobilisation de capitaux et renforcer les fonds propres,
- accroître la visibilité de la banque sur les marchés financiers régionaux et internationaux,
- faire de BGFI Holding la première multinationale de la zone CEMAC à accéder au compartiment actions de la Bourse des valeurs mobilières d’Afrique centrale (BVMAC).
L’opération prévoyait la mise en vente de 1 573 536 actions (10 % du capital social) au prix unitaire de 80 000 FCFA, ce qui devait permettre de lever 125,8 milliards FCFA pour consolider la structure financière du groupe. La cotation était initialement prévue le 15 juillet 2025, puis repoussée au 31 juillet 2025. La nouvelle gouvernance prévoyait la séparation des fonctions de président du conseil et de directeur général afin d’aligner l’entreprise sur les standards des sociétés cotées.
Cette montée en puissance se déroulait dans un contexte de transition de la direction : le 5 mai 2025, le président‑directeur général historique Henri‑Claude Oyima a été nommé ministre de l’Économie, des Finances, de la Dette et des Participations dans le nouveau gouvernement gabonais. Sa promotion marque un changement de gouvernance alors que l’entreprise poursuit son ambition de devenir un groupe financier africain d’envergure mondiale.
Une suspension provoquée par un contentieux juridique
Peu avant la mise en marché des actions, l’opération a été stoppée. Le 28 juillet 2025, BGFI Holding a annoncé que son conseil d’administration, en accord avec la Commission de surveillance du marché financier de l’Afrique centrale (COSUMAF), suspendait la procédure d’introduction. Le communiqué expliquait que la décision visait à garantir la sérénité de l’ensemble des parties prenantes et qu’il fallait attendre l’issue des requêtes formulées par un groupe d’actionnaires devant le Tribunal de commerce de Libreville, avant de poursuivre les formalités légales. Le groupe ajoutait qu’il continuerait à mettre en œuvre son plan stratégique Dynamique 2025 et que ses résultats au 30 juin 2025 restaient conformes à ses objectifs de solidité et de performance.
Cette suspension n’équivalait pas à une annulation. BGFI Holding indiquait qu’il publierait un nouveau calendrier pour l’introduction. Cependant, elle mettait en lumière les tensions internes au sein du capital et la question de la protection des droits des actionnaires minoritaires.
Le rôle de Christian Kerangall et de la minorité de blocage
Le contentieux est porté par un groupe d’actionnaires représentant 37,49 % du capital du holding, un pourcentage supérieur au seuil légal de minorité de blocage de 33 %. Ils contestent les résultats du vote lors de l’assemblée générale extraordinaire du 25 juin 2025, affirmant que des voix n’auraient pas été correctement prises en compte et demandent une rectification du procès‑verbal.
Ce groupe est conduit par Christian Kerangall, ancien dirigeant du groupe Sogafric et actionnaire historique de BGFI Holding avec 23 % du capital. Dans une interview accordée à L’Union, il explique qu’il y a eu un « cafouillage » lors du dépouillement ; certains votes n’ont pas été correctement retranscrits. Il souligne qu’il n’y a pas de combat mais des questions de principe et d’éthique : les actionnaires souhaitent faire respecter leur droit à une minorité de blocage et obtenir un délai suffisant pour digérer les changements de gouvernance.
Par ailleurs, un second recours introduit devant le tribunal de commerce de Libreville demande la suspension pure et simple de l’opération tant que la régularité du processus n’est pas confirmée. Selon les informations recueillies par Droit Médias Finance, certains actionnaires avaient envoyé des lettres de réclamation à la banque sans réponse ; ils ont ensuite saisi la justice pour demander la suspension de l’introduction.
En résumé, les actionnaires dissidents jugent que :
- la préparation de l’IPO a été précipitée malgré une période de transition causée par la nomination du PDG historique au gouvernement ;
- la marge de manœuvre de la minorité de blocage n’a pas été respectée en raison de possibles irrégularités dans la comptabilisation des votes ;
- les documents relatifs aux contentieux en cours n’ont pas été suffisamment mis à disposition, alors que la réglementation oblige les émetteurs à les exposer clairement.
La position et la stratégie de BGFI Holding
Face à ce blocage, BGFI Holding a choisi d’apaiser le climat en suspendant l’opération tout en réaffirmant sa détermination à se coter. Le communiqué officiel précise que le conseil d’administration attendra l’issue des recours judiciaires et travaillera avec la COSUMAF pour la suite. L’entreprise rappelle que la levée de 125,8 milliards FCFA reste essentielle pour renforcer les fonds propres et soutenir ses ambitions régionales. Elle se réfère au plan Dynamique 2025, qui a déjà permis d’améliorer les performances financières et la rentabilité du groupe.
Le groupe met également en avant les transformations de gouvernance décidées lors de l’assemblée générale : séparation des rôles de président et de directeur général, adoption de normes de gouvernance dignes de sociétés cotées et augmentation de capital. Ces réformes visent à rassurer les investisseurs potentiels et à démontrer la solidité de la banque sur le long terme.
Enjeux et implications pour la BVMAC et la gouvernance d’entreprise
L’affaire BGFI Holding est emblématique des défis de gouvernance rencontrés par les grandes entreprises africaines souhaitant s’ouvrir au marché. Sur le plan juridique, elle rappelle que le droit de la minorité de blocage (33 % du capital) est un outil de protection des actionnaires, obligeant la majorité à rechercher un consensus. La contestation de la comptabilisation des votes montre l’importance d’une procédure transparente pour éviter les litiges ; à défaut, le juge des référés peut suspendre une introduction pour garantir l’équité.
Sur le plan financier, le projet d’IPO de BGFI Holding aurait permis à la BVMAC de connaître la plus grosse levée de fonds de son histoire, dynamisant un marché encore peu liquide. La suspension souligne la fragilité de la confiance des investisseurs et le risque réputationnel pour les émetteurs qui ne communiquent pas suffisamment sur les litiges en cours. Toutefois, la décision de BGFI de suspendre l’opération plutôt que de l’annuler témoigne d’une volonté de respecter la réglementation et de préserver la crédibilité du marché : en divulguant le litige et en sollicitant l’avis de la COSUMAF, la banque se conforme à l’obligation de transparence exigée des sociétés cotées.
Enfin, l’épisode illustre les tensions entre stratégie de croissance et stabilité de la gouvernance. D’un côté, le besoin de capitaux pour financer l’expansion régionale pousse la banque à s’ouvrir au public ; de l’autre, la succession du fondateur et la nomination de nouveaux dirigeants créent une période d’incertitude qui fragilise l’adhésion des actionnaires. Le résultat des procédures judiciaires et la capacité de BGFI Holding à rétablir la confiance seront déterminants pour la réussite de l’IPO.
Le blocage de l’entrée en Bourse de BGFI Holding est le résultat d’un contenieux interne né d’une transition de gouvernance et d’une contestation de procédures. Les actionnaires dissidents, menés par Christian Kerangall, font valoir leur minorité de blocage et invoquent des principes d’éthique et de transparence. Face à cela, BGFI Holding a choisi de suspendre temporairement son projet afin de respecter les règles et d’apaiser les tensions.
Au-delà du cas d’espèce, cette affaire montre que la réussite d’une introduction en Bourse dans la région CEMAC dépend autant de la préparation financière que du respect des normes de gouvernance et de la gestion des relations entre actionnaires. Si le groupe parvient à résoudre le litige et à consolider son consensus interne, l’IPO pourra encore devenir un jalon historique pour la BVMAC et un signal positif pour le financement des entreprises africaines sur les marchés de capitaux.
Oswald M



