UEMOA : les États lèvent près de 7 700 milliards FCFA sur le marché régional pour financer leurs déficits publics

Les États membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) intensifient leur recours au marché régional pour financer leurs besoins budgétaires. À fin juin 2025, ils ont mobilisé près de 7 700 milliards FCFA, soit environ 12,5 milliards de dollars, à travers des émissions de bons et d’obligations du Trésor. Cette performance, inédite par son ampleur, traduit la forte dépendance des finances publiques au financement domestique dans un contexte mondial marqué par la volatilité et le resserrement des liquidités.
Selon les données de l’Agence UMOA-Titres, ce montant représente une hausse de plus de 80 % par rapport au premier semestre 2024. Les États profitent de la profondeur accrue du marché financier régional et de la confiance persistante des investisseurs institutionnels, malgré un environnement marqué par la hausse des taux d’intérêt et la fragilité budgétaire.
Une dépendance croissante au marché intérieur
L’essentiel des fonds levés provient des obligations assimilables du Trésor (OAT), dont les volumes ont progressé de manière spectaculaire, tandis que les bons assimilables du Trésor (BAT) à court terme ont également connu une forte croissance. Ce dynamisme illustre la volonté des Trésors nationaux de diversifier leurs sources et maturités de financement.
La Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Bénin figurent parmi les principaux émetteurs, concentrant à eux seuls près de 60 % des montants mobilisés. Ces trois économies, plus stables et mieux notées, conservent un accès privilégié au marché. Le Burkina Faso, le Niger et le Mali continuent, malgré un contexte politique et sécuritaire difficile, de solliciter le marché régional comme principal relais de financement.
Le marché régional comme bouée de financement
Depuis 2022, la fermeture partielle des marchés internationaux, consécutive au resserrement monétaire global et à la hausse des rendements dans les économies avancées, a poussé les États de l’UEMOA à se tourner vers leur marché domestique. Cette stratégie offre un accès plus rapide et plus prévisible aux liquidités, tout en réduisant l’exposition au risque de change.
Cependant, le coût de ce financement s’accroît. Le taux moyen pondéré des émissions a atteint 7,2 % au premier semestre 2025 contre 6,1 % un an plus tôt. La charge de la dette devient un enjeu de plus en plus lourd pour les budgets nationaux, dans un contexte où les marges fiscales demeurent étroites et où les besoins de financement restent élevés, notamment pour les infrastructures et la défense.
Un marché attractif mais sous tension
La confiance des investisseurs régionaux demeure forte. Les banques, les compagnies d’assurances et les fonds de pension continuent de jouer un rôle moteur dans la souscription aux titres publics. Le marché secondaire reste dynamique, soutenu par la BCEAO, qui assure la liquidité et la stabilité du système financier régional.
Pourtant, certains analystes mettent en garde contre une dépendance excessive au financement interne. Le risque d’éviction du secteur privé est réel, les banques préférant souvent placer leurs liquidités dans des titres souverains jugés plus sûrs. Cette situation pourrait ralentir l’investissement productif et peser sur la croissance à moyen terme.
Entre stabilité et vulnérabilité
La BCEAO table sur une croissance régionale de 5,8 % en 2025 et une inflation moyenne contenue à 2,3 %, des prévisions qui laissent espérer une stabilisation progressive des équilibres macroéconomiques. Néanmoins, la consolidation budgétaire reste fragile. Les chocs climatiques, les dépenses de sécurité et la nécessité d’investir dans les infrastructures continueront de creuser les besoins de financement.
Les projections de marché laissent entrevoir un volume total d’émissions proche de 10 000 milliards FCFA d’ici décembre 2025, un record historique pour l’UEMOA. Cette dynamique confirme la montée en puissance du marché régional comme principal canal de financement des États, bien devant les flux extérieurs concessionnels.
Le défi de la soutenabilité
Le succès du marché des titres publics reflète la maturité croissante de l’intégration financière dans l’UEMOA. Il symbolise la confiance des acteurs régionaux dans leurs institutions monétaires et financières. Mais il met également en lumière la vulnérabilité structurelle des finances publiques, désormais davantage exposées à une dette domestique coûteuse et concentrée.
La BCEAO fait face à un défi d’équilibre : maintenir la confiance et la stabilité tout en incitant les États à adopter des politiques fiscales plus prudentes. Le marché régional demeure un pilier essentiel de la résilience économique ouest-africaine, mais il révèle aussi l’urgence d’une discipline budgétaire renforcée pour éviter un engrenage de dépendance financière interne.
En 2025, les performances de levée de fonds illustrent à la fois la robustesse du modèle financier intégré de l’UEMOA et les tensions latentes d’une union confrontée à la double exigence de croissance et de soutenabilité.
Patrick Tchounjo



