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CEMAC : 8 672 milliards FCFA de valeurs du Trésor, un record historique pour la sous-région

La Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC) a publié des chiffres qui confirment une dynamique remarquable sur le marché des titres publics. À fin juin 2025, l’encours total des valeurs du Trésor dans la zone CEMAC a atteint 8 672 milliards FCFA, en progression de 26,2 % sur un an. Cette croissance traduit la vitalité du marché régional et le rôle croissant qu’il joue dans le financement des États membres.

Ce résultat illustre une tendance lourde : la montée en puissance des financements intérieurs dans la stratégie budgétaire des pays d’Afrique centrale. Face à la contraction des financements extérieurs et à la prudence accrue des bailleurs internationaux, les Trésors nationaux privilégient désormais la mobilisation de l’épargne régionale à travers l’émission de bons et d’obligations du Trésor. La CEMAC est en train de bâtir, pas à pas, un véritable marché des capitaux souverains à l’échelle régionale.

Une progression soutenue par les besoins budgétaires et la confiance des investisseurs

L’augmentation de 26 % de l’encours reflète d’abord une demande croissante de financement public. Les États de la région, confrontés à des pressions budgétaires liées à la hausse des dépenses d’infrastructures et à la compensation des chocs économiques, ont intensifié leurs émissions sur le marché monétaire et obligataire.

Dans le même temps, cette performance témoigne d’un regain de confiance des investisseurs institutionnels, notamment les banques commerciales et les compagnies d’assurances, qui trouvent dans ces titres publics des placements sûrs et rentables. La diversification des maturités, la régularité des adjudications et la discipline instaurée par la BEAC dans la gestion du marché ont consolidé cette confiance.

La CEMAC a réussi à développer un marché structuré, transparent et attractif, en s’appuyant sur un réseau solide de Spécialistes en Valeurs du Trésor (SVT). Ces acteurs jouent un rôle clé dans la dynamisation de la demande et dans la liquidité du marché secondaire, encore embryonnaire mais en nette progression.

Un marché de plus en plus stratégique pour les politiques publiques

L’essor du marché des titres publics représente un tournant pour la souveraineté financière de la région. En recourant davantage au financement intérieur, les États réduisent leur dépendance vis-à-vis des créanciers étrangers et affermissent leur marge de manœuvre face aux fluctuations des marchés mondiaux. Ce mécanisme contribue à stabiliser les budgets et à absorber les chocs externes tout en favorisant l’intégration financière régionale.

L’augmentation de l’encours des valeurs du Trésor s’accompagne également d’une sophistication accrue des instruments utilisés. Les bons du Trésor assimilables (BTA) et les obligations du Trésor assimilables (OTA) coexistent désormais dans une architecture financière plus diversifiée. Les États expérimentent des maturités plus longues, ce qui témoigne d’une évolution vers des financements plus soutenables et mieux planifiés.

Des opportunités mais aussi des risques à maîtriser

Cette montée en puissance du marché des titres publics ouvre d’importantes perspectives économiques, mais elle n’est pas exempte de risques. L’accumulation rapide de dette intérieure appelle à une vigilance renforcée sur la gestion du service de la dette. Une coordination plus fine entre les politiques budgétaires nationales devient nécessaire afin d’éviter les effets d’éviction et la concurrence entre les États de la sous-région.

Le défi réside également dans l’utilisation productive des fonds levés. Pour que ce marché devienne un levier de développement durable, les ressources mobilisées doivent financer des investissements structurants, capables de générer une croissance réelle et des recettes futures. Sans cette discipline, l’endettement intérieur pourrait perdre sa fonction de moteur économique et se transformer en contrainte budgétaire.

Un autre enjeu majeur concerne la profondeur du marché. Bien que le volume des émissions ait fortement augmenté, la base des investisseurs reste concentrée sur le secteur bancaire. L’élargissement de la participation aux assurances, aux fonds de pension et aux investisseurs privés demeure un chantier prioritaire. Le développement d’un véritable marché secondaire, offrant liquidité et transparence, sera déterminant pour attirer davantage de capitaux domestiques.

Vers une consolidation du marché régional

Le marché des titres publics de la CEMAC illustre la capacité de la région à mobiliser ses propres ressources pour financer son développement. En seulement cinq ans, l’encours global a quadruplé, passant de 2 000 à près de 8 700 milliards FCFA. Cette dynamique place la zone CEMAC parmi les marchés obligataires les plus dynamiques du continent.

Pour consolider cette trajectoire, trois leviers apparaissent essentiels : renforcer la coordination régionale, diversifier la base d’investisseurs et poursuivre la modernisation de la gouvernance financière. Les États devront également harmoniser leurs stratégies d’émission afin d’éviter une concurrence stérile sur les marchés et d’assurer une stabilité des taux.

À terme, la réussite du marché des valeurs du Trésor dépendra de sa capacité à s’inscrire dans une logique de développement inclusif. Un marché obligataire performant doit financer non seulement les infrastructures publiques, mais aussi l’économie réelle, les PME, les projets verts et les innovations locales.

Un levier de souveraineté et de résilience

La progression de 26,2 % enregistrée à fin juin 2025 confirme que la CEMAC entre dans une ère de souveraineté financière progressive. En internalisant son financement, la région se dote d’un instrument stratégique pour amortir les crises et soutenir ses ambitions de transformation économique.

L’enjeu désormais n’est pas seulement de lever davantage de ressources, mais de le faire de manière intelligente, productive et coordonnée. La performance du marché des titres publics deviendra alors un indicateur clé de la maturité économique de la région, de sa discipline budgétaire et de sa capacité à financer son développement par ses propres moyens.

Patrick Tchounjo

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