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BAD–PAM : une alliance bancaire stratégique pour financer la résilience alimentaire de l’Afrique

Face à une insécurité alimentaire qui touche plus de 282 millions d’Africains, la Banque africaine de développement (BAD) et le Programme alimentaire mondial (PAM) ont décidé d’unir leurs forces. L’objectif est clair : passer d’une logique de secours humanitaire à une stratégie de résilience structurelle, fondée sur la productivité, l’accès aux intrants et la souveraineté alimentaire.

Ce partenariat inédit, qui combine les moyens financiers de la BAD et la logistique du PAM, vise à renforcer les systèmes agricoles africains, à moderniser les chaînes de valeur et à permettre aux pays du continent de mieux faire face aux chocs climatiques, aux crises géopolitiques et aux dépendances alimentaires externes.

Une alliance entre finance et logistique

Pour Akinwumi Adesina, président de la BAD, « il ne suffit plus de nourrir l’Afrique, il faut lui donner les moyens de se nourrir elle-même ». Le partenariat avec le PAM répond à cette ambition : la BAD mobilise le financement, les garanties et l’ingénierie financière, tandis que le PAM déploie son expertise opérationnelle, son ancrage communautaire et son réseau logistique sur le terrain.

L’une des premières réalisations de cette coopération a vu le jour au Soudan, où un programme conjoint a permis de stimuler la production de blé dans un pays dévasté par la guerre. Financé à hauteur de 75 millions de dollars par la BAD, le projet a distribué des semences certifiées et des engrais à plus de 170 000 petits producteurs. Résultat : la production nationale de blé a bondi de 70 % en un an, atteignant 645 000 tonnes, soit 22 % des besoins du pays.

Au-delà de l’urgence, cette réussite démontre qu’une approche intégrée – combinant financement, logistique et expertise technique – peut transformer une crise alimentaire en opportunité de reconstruction économique.

De la réponse d’urgence à la souveraineté alimentaire

En Afrique de l’Ouest, cette approche commence également à porter ses fruits. Au Nigeria, la BAD et le PAM interviennent conjointement dans le nord du pays pour fournir une assistance alimentaire tout en soutenant la relance agricole. Plus d’un million de personnes bénéficient chaque mois d’un appui combiné entre aide humanitaire et programmes de relèvement.

Cette approche hybride vise à casser le cycle infernal de la dépendance à l’aide internationale. Elle s’appuie sur un double levier : des programmes d’urgence mieux ciblés et des investissements durables dans les infrastructures agricoles. Elle permet ainsi de préparer les communautés à produire davantage, à stocker plus efficacement et à accéder aux marchés régionaux.

La coopération BAD–PAM se distingue donc par sa capacité à articuler le court terme et le long terme. Elle ne se limite pas à la distribution de vivres ; elle cherche à bâtir une autonomie alimentaire durable, fondée sur la productivité, l’accès aux intrants et la transformation locale.

Des défis immenses, mais une méthode claire

Le défi reste colossal. Les effets du changement climatique, les conflits, les coûts des intrants agricoles et la dépendance aux importations alimentaires continuent d’affecter les économies africaines. Selon la BAD, le continent importe encore plus de 40 milliards de dollars de produits alimentaires chaque année, un paradoxe pour une région qui possède 65 % des terres arables non cultivées de la planète.

Pour inverser la tendance, le tandem BAD–PAM mise sur une approche structurée : accompagner les petits producteurs, renforcer les chaînes logistiques régionales, soutenir les politiques agricoles nationales et mobiliser des financements innovants. La BAD prévoit d’investir 25 milliards de dollars d’ici 2030 à travers son programme Feed Africa, qui soutient la mécanisation, les semences résilientes et la transformation agro-industrielle.

De son côté, le PAM met à profit sa présence dans plus de 40 pays africains pour faciliter la mise en œuvre des programmes et garantir la traçabilité des aides. Cette complémentarité entre un acteur financier et un acteur opérationnel incarne une nouvelle génération de partenariats de développement.

Une Afrique en quête de résilience

L’enjeu de cette alliance dépasse le cadre agricole. Il s’agit de bâtir une souveraineté alimentaire africaine capable de résister aux crises mondiales. La pandémie, la guerre en Ukraine et les aléas climatiques ont rappelé la vulnérabilité du continent face aux chaînes d’approvisionnement mondiales.

La BAD et le PAM posent désormais les bases d’un modèle qui privilégie la production locale, l’innovation agricole et la coopération régionale. Des projets pilotes sont en cours dans le Sahel, la Corne de l’Afrique et l’Afrique australe, avec pour ambition de faire de l’agriculture africaine non plus un secteur de survie, mais un moteur de croissance.

Le succès de ce partenariat dépendra cependant de la gouvernance et de la coordination entre les États. La transparence dans la gestion des fonds, l’efficacité des programmes et l’intégration des politiques agricoles nationales seront déterminantes pour en garantir la durabilité.

Un tournant pour la sécurité alimentaire africaine

L’alliance entre la BAD et le PAM symbolise une rupture : l’Afrique ne veut plus dépendre des crises pour agir, mais veut bâtir la résilience par anticipation. En combinant la puissance financière d’une banque continentale et la capacité opérationnelle d’une agence onusienne, le continent tient peut-être la clé de sa souveraineté alimentaire.

Dans un monde où la sécurité alimentaire devient un enjeu géopolitique, ce partenariat incarne une voie africaine vers l’autonomie, la stabilité et le développement inclusif.

Patrick Tchounjo

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