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Banque mondiale : au cœur du défi de l’emploi dans une Afrique en croissance

L’Afrique subsaharienne continue d’afficher une croissance économique soutenue, malgré les tensions géopolitiques mondiales, les fluctuations des prix des matières premières et les effets persistants du changement climatique. Selon les dernières perspectives de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI), la région devrait enregistrer une croissance moyenne de 3,8 % en 2025, légèrement supérieure à celle de l’année précédente. Mais derrière cette dynamique se cache un défi structurel majeur : la création d’emplois à grande échelle pour une population jeune et en forte expansion.

Une croissance tirée par quelques économies phares

Le rebond de la région s’appuie principalement sur les performances solides de plusieurs grandes économies africaines. Le Nigéria, malgré les pressions sur sa monnaie, devrait bénéficier d’une reprise progressive de la production pétrolière et des réformes budgétaires en cours. Le Kenya et la Côte d’Ivoire continuent de tirer la croissance grâce à la diversification de leurs économies, portées par les services financiers, les télécommunications, l’agriculture et les infrastructures.

Dans les pays exportateurs de matières premières, comme l’Angola, la Zambie ou la République démocratique du Congo, la stabilisation des cours du cuivre et du pétrole a renforcé les recettes publiques et soutenu l’investissement. En Afrique de l’Ouest, l’UEMOA conserve une trajectoire robuste, alimentée par la consommation intérieure, la digitalisation des services et les investissements publics dans l’énergie et les transports.

Mais cette croissance reste inégalement répartie et souvent insuffisante pour absorber les 20 millions de jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail.

Un paradoxe africain : croissance sans emploi

La question de l’emploi constitue désormais le véritable test de la soutenabilité du modèle de croissance africain. Selon la Banque africaine de développement (BAD), plus de 60 % des jeunes actifs en Afrique subsaharienne travaillent dans le secteur informel, souvent dans des activités à faible productivité et sans protection sociale. Cette réalité freine la constitution d’une classe moyenne solide et limite la capacité des États à élargir leur base fiscale.

Le paradoxe africain réside dans la coexistence d’une croissance économique résiliente et d’un taux de chômage élevé chez les jeunes, particulièrement dans les zones urbaines. L’emploi formel ne progresse pas au même rythme que la démographie, ce qui alimente la précarité et la migration économique.

Les secteurs porteurs, comme les technologies numériques, l’agro-industrie ou les énergies renouvelables, génèrent certes de nouvelles opportunités, mais encore à une échelle trop limitée. L’Afrique doit donc transformer la nature de sa croissance, en passant d’une économie extractive à une économie de production et de transformation locale.

Le défi de la productivité et de la formation

Pour relever ce défi, les experts insistent sur la nécessité de renforcer la formation professionnelle, l’innovation et l’accès au financement pour les petites et moyennes entreprises. L’Afrique dispose du potentiel pour créer des millions d’emplois si elle parvient à dynamiser ses chaînes de valeur locales, à améliorer son climat des affaires et à mobiliser davantage d’investissements privés.

La productivité du travail demeure faible dans la plupart des économies subsahariennes. Selon le FMI, elle est en moyenne dix fois inférieure à celle des pays émergents d’Asie. Cette situation s’explique par le manque d’infrastructures, la faible industrialisation et la difficulté d’accès à l’énergie et au crédit. Les politiques publiques doivent donc s’orienter vers des réformes structurelles capables de stimuler l’investissement, la compétitivité et la création d’emplois décents.

Le rôle croissant du secteur privé et de la finance verte

Face aux contraintes budgétaires des États, le secteur privé joue un rôle crucial dans la création d’emplois. Les partenariats public-privé, les incubateurs d’entreprises et les fonds d’investissement africains contribuent à faire émerger une nouvelle génération d’entrepreneurs. Des institutions financières comme la BAD, la Société financière internationale (IFC) ou Afreximbank multiplient les initiatives pour soutenir les start-up, les PME et les projets d’infrastructure à fort impact social.

La finance verte et les énergies renouvelables offrent également un gisement d’emplois prometteur. Selon la Commission économique pour l’Afrique (CEA), la transition énergétique pourrait créer plus de 10 millions d’emplois d’ici 2030 dans les secteurs de la production solaire, de la gestion des déchets et de l’efficacité énergétique. Ces nouvelles opportunités exigent cependant des compétences adaptées, d’où l’importance d’investir dans le capital humain.

Une croissance à transformer en prospérité inclusive

La croissance économique actuelle prouve que l’Afrique subsaharienne a la capacité de résister aux chocs mondiaux. Mais sans politiques actives de l’emploi, cette résilience risque de rester stérile. Les gouvernements doivent orienter leurs politiques vers la création d’emplois productifs, notamment dans les zones rurales, et soutenir les chaînes de valeur locales capables d’intégrer les jeunes et les femmes.

La stabilité macroéconomique, la gouvernance et l’investissement dans l’éducation sont des leviers essentiels pour transformer la croissance en prospérité partagée.

Vers une nouvelle ère de croissance inclusive

L’Afrique subsaharienne entre dans une phase décisive de son développement. Les fondamentaux économiques restent solides, mais le continent ne pourra tirer pleinement profit de son potentiel qu’en répondant au défi de l’emploi. La création d’emplois décents n’est plus seulement une exigence sociale : c’est une condition de stabilité politique, de cohésion nationale et de durabilité économique.

Le pari africain sera donc celui d’une croissance inclusive, fondée sur le travail, la productivité et l’innovation. Si la région parvient à relever ce défi, elle pourrait devenir l’un des pôles de croissance les plus dynamiques et équilibrés du XXIe siècle.

Patrick Tchounjo

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