CEMAC. Rapatriement des devises extractives : un test de souveraineté monétaire confirmé à Washington

Au sein de la CEMAC, l’obligation de rapatrier les devises issues des hydrocarbures et des mines concentre des tensions entre États et multinationales. Au cœur du débat, la place de la banque centrale régionale et l’effectivité du cadre de change qui exige la rétrocession d’une part substantielle des recettes en devises. Le 13 octobre 2025, à l’occasion d’une réunion du comité ministériel de l’Union monétaire de l’Afrique centrale organisée en marge des Assemblées, la question a été remise au premier plan, avant d’alimenter des échanges plus larges à Washington avec un objectif clair pour les autorités régionales : sécuriser les réserves, stabiliser la liquidité externe et renforcer la crédibilité du régime monétaire.
Le fondement réglementaire organise la circulation des devises, encadre l’ouverture de comptes à l’étranger et définit des délais stricts d’apurement. Pour les opérateurs, l’exigence de rapatriement s’articule avec des besoins opérationnels internationaux qui incluent la gestion de trésorerie multi-pays, la couverture des risques de prix et de change, le financement de la maintenance lourde et la constitution de provisions environnementales. La friction provient de l’arbitrage entre ces impératifs et la volonté publique de réduire la dollarisation de fait et de consolider les réserves communes.
L’enjeu macrofinancier est déterminant. Un niveau de réserves plus élevé abaisse la perception du risque souverain, améliore l’accès au financement et réduit la volatilité des primes sur les émissions publiques et privées. Il facilite aussi la transmission de la politique monétaire en renforçant le rôle des marchés domestiques de devises et en limitant les sorties non documentées. À l’inverse, des exemptions larges ou des retards récurrents dans la rétrocession pèsent sur la couverture extérieure, compliquent la gestion de la liquidité et fragilisent l’ancrage nominal.
La mise en conformité dans l’extractif exige une ingénierie contractuelle précise. Les contrats de partage de production, les conventions minières et les accords de joint-venture doivent intégrer des clauses de comptes séquestres, des calendriers de rétrocession et des mécanismes de preuve documentaire traçables. Les banques intermédiaires jouent un rôle d’authentification des flux, de contrôle KYC et de filtrage des paiements transfrontaliers, tandis que les entreprises ajustent leurs politiques de trésorerie pour concilier couverture des risques et respect des délais d’apurement.
Les discussions tenues à Washington ont mis en avant une trajectoire d’équilibre. Les autorités régionales défendent une application stricte mais prévisible du cadre, avec des délais clairs, des procédures numérisées et une supervision graduée. Les opérateurs demandent une lisibilité sur les cas d’usage autorisés pour les dépenses en devises, une compatibilité avec les conventions de financement de projet et une reconnaissance des contraintes logistiques propres aux sites offshore et aux zones isolées. Le compromis attendu passe par des protocoles standardisés, une interopérabilité accrue entre systèmes de paiement régionaux et contreparties internationales et un reporting qui réduise les goulots administratifs sans affaiblir les contrôles.
Les effets attendus se lisent sur trois axes. Le premier concerne la stabilisation des marchés de change domestiques grâce à des entrées régulières de devises qui soutiennent la couverture des importations essentielles et la visibilité des trésoriers publics. Le deuxième touche le financement, où une amélioration du coussin externe peut contenir les coûts d’emprunt et faciliter la planification budgétaire. Le troisième relève de la gouvernance, car un dispositif de rapatriement crédible et appliqué de manière uniforme réduit l’arbitrage réglementaire, renforce la transparence sectorielle et améliore la comparabilité des performances entre pays membres.
La suite dépendra de la qualité d’exécution. La normalisation des conventions de comptes, la généralisation de l’apurement électronique, la fiabilité des référentiels documentaires et la coordination entre superviseur bancaire, autorités de change et ministères sectoriels décideront de la vitesse de montée en régime. Une pédagogie réglementaire cohérente, associée à des sanctions proportionnées en cas de manquement, peut ancrer les comportements sans nuire à l’attractivité d’investissements à forte intensité capitalistique.
Le bras de fer autour du rapatriement des devises dans l’extractif est en réalité un test de souveraineté monétaire partagée. En réaffirmant ses priorités à Washington et lors de la réunion ministérielle du 13 octobre 2025, la région rappelle que la solidité du cadre de change n’est pas un obstacle à l’investissement mais une condition de sa soutenabilité. La conciliation entre exigences opérationnelles des multinationales et objectifs de stabilité des États membres se construit sur la prévisibilité des règles, la qualité des infrastructures financières et la discipline d’exécution. C’est sur ces paramètres que se jouera, dans les prochains mois, la crédibilité de l’architecture macrofinancière régionale.
Patrick Tchounjo



