La BEAC à la rescousse des banques de la CEMAC avec 1,4 milliard USD de liquidités

Le 28 octobre 2025, la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) a frappé un grand coup sur le marché monétaire régional en injectant 800 milliards FCFA, soit environ 1,4 milliard de dollars américains, dans le circuit bancaire des six pays membres de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) : Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée équatoriale et Tchad.
Cette opération, d’une ampleur inédite, marque un record historique pour la BEAC en matière de soutien à la liquidité bancaire régionale.
Selon le communiqué de la banque centrale, cette performance intervient « dans un contexte d’accroissement marqué de la demande de liquidité des banques commerciales ». Les établissements de crédit de la région, de plus en plus sollicités pour financer à la fois les besoins budgétaires des États et la relance économique post-Covid, se heurtent depuis plusieurs mois à une raréfaction des ressources disponibles sur le marché monétaire.
Les deux opérations précédentes, menées les 7 et 14 octobre 2025, illustrent bien cette tendance : chacune portait sur 750 milliards FCFA pour des demandes respectives de 817 milliards et 786 milliards. Autrement dit, la demande de liquidité excède désormais systématiquement les montants offerts par la BEAC, signe d’une pression structurelle sur le refinancement bancaire.
Cette injection massive s’inscrit dans la stratégie de la BEAC visant à stabiliser le système bancaire et à préserver le financement de l’économie réelle, tout en maintenant le cap d’une politique monétaire prudente face aux tensions inflationnistes. L’objectif est de soulager les banques dont les marges de manœuvre se resserrent et d’éviter un ralentissement du crédit susceptible de freiner la reprise économique.
Depuis le relèvement de son taux directeur à 5 %, la BEAC maintient une ligne de rigueur monétaire pour contenir l’inflation dans la zone, autour de 4,5 % en moyenne. Mais la hausse du coût de refinancement a mécaniquement réduit la capacité des banques à accorder de nouveaux prêts, notamment aux PME et aux acteurs du secteur productif. En procédant à cette injection record, l’institut d’émission montre sa volonté d’ajuster son curseur entre discipline et flexibilité afin d’éviter un effet d’étranglement sur les économies nationales.
Cette opération révèle aussi l’évolution du profil des banques commerciales dans la CEMAC. De plus en plus exposées aux titres publics — notamment les Bons et Obligations du Trésor émis sur le marché BEAC ou via UMOA-Titres —, elles doivent gérer un arbitrage constant entre financement des États et crédits au secteur privé. La montée des besoins publics a ainsi provoqué un drainage de liquidité, amplifié par le ralentissement de la collecte des dépôts et par des contraintes prudentielles plus strictes imposées par la COBAC.
Pour la BEAC, ces tensions sont surveillées de près. Car un manque de liquidité prolongé pourrait fragiliser la rentabilité des banques, augmenter les taux interbancaires et, in fine, perturber la stabilité financière régionale.
Le marché interbancaire de la CEMAC, bien que plus dynamique depuis 2023, reste encore peu profond. Les échanges entre banques demeurent limités, forçant les établissements à dépendre du refinancement auprès de la BEAC pour équilibrer leurs positions. Cette dépendance structurelle, accentuée par la faible bancarisation (autour de 20 % en moyenne), rend la transmission de la politique monétaire plus lente que dans d’autres zones africaines.
La décision d’octobre 2025 apparaît donc comme un acte de pilotage macrofinancier finement calibré : injecter juste assez pour rétablir la circulation de la monnaie dans le système, sans relancer la spirale inflationniste.
Si cette injection constitue une bouffée d’oxygène immédiate, elle met aussi en lumière les défis structurels de la zone CEMAC. Il s’agit d’améliorer la profondeur du marché interbancaire, de diversifier les sources de financement des banques et de renforcer la discipline budgétaire des États pour réduire leur dépendance au marché domestique.
À moyen terme, la BEAC devra maintenir ce fragile équilibre entre stabilité des prix et soutien à la croissance, dans un environnement marqué par des tensions géopolitiques, des besoins publics croissants et une dépendance persistante aux matières premières.
L’injection record du 28 octobre apparaît ainsi comme un test de résilience pour la politique monétaire régionale — un signal fort adressé aux marchés, mais aussi un rappel : la stabilité financière en Afrique centrale reste un exercice d’équilibriste, où chaque décision de la BEAC pèse lourd sur le dynamisme du crédit et la confiance des investisseurs.
Patrick Tchounjo



