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Cameroun : la CDEC impose la règle, Afriland First Bank sommée de restituer 166 milliards FCFA

Le différend entre Afriland First Bank, première banque du Cameroun, et la Caisse des dépôts et consignations du Cameroun (CDEC) s’intensifie.
L’institution publique réclame à la banque le transfert d’un total de 166 milliards de FCFA correspondant à des dépôts publics, consignations et séquestres judiciaires, estimant qu’une partie de ces fonds a été indûment conservée dans les comptes de la banque.

L’affaire a pris une tournure officielle le 16 octobre 2025, lorsque le directeur général de la CDEC, Richard Evina Obam, a adressé une mise en demeure ferme à Afriland First Bank, lui reprochant de ne pas avoir reversé les sommes dues conformément à la loi.

Des écarts identifiés par le système de contrôle CERBER 2024

Selon les informations issues de la CDEC, l’audit interne mené sur la base des états financiers de la banque et du système de suivi automatisé CERBER 2024 a révélé des écarts significatifs entre les montants déclarés par Afriland et la valeur réelle des dépôts concernés.
L’écart identifié atteindrait 36,5 milliards FCFA, auxquels s’ajoutent 4,17 milliards de pénalités calculées selon le taux de la facilité de prêt marginal de la BEAC, portant le montant total réclamé à 40 milliards FCFA.

Ces montants représentent, selon la CDEC, des fonds publics et consignations administratives qui auraient dû être transférés à la Caisse conformément à la loi n°2008/003 du 14 avril 2008, relative aux dépôts, consignations et séquestres judiciaires.

La CDEC a fixé à mi-novembre 2025 la date limite de règlement. Passé ce délai, elle prévoit d’engager une procédure de recouvrement forcé.

Une divergence d’interprétation, selon Afriland First Bank

Contactée, une source interne à Afriland First Bank évoque une divergence d’interprétation comptable plutôt qu’une faute de gestion. La banque assure « travailler à clarifier les montants concernés » et affirme que « toutes les obligations réglementaires ont été respectées conformément aux instructions de la COBAC », l’autorité de supervision bancaire en Afrique centrale.

Cette position reflète la prudence de l’établissement, soucieux de préserver son image de rigueur et de conformité, tout en évitant d’alimenter un conflit ouvert avec la CDEC, institution publique en pleine affirmation de son autorité.

L’affaire Bestinver, un second front à 126 milliards FCFA

Outre les 40 milliards réclamés au titre de dépôts publics non reversés, la CDEC réclame également la restitution de 126 milliards FCFA placés sous séquestre dans les comptes d’Afriland First Bank, dans le cadre du litige dit « Bestinver », qui oppose l’homme d’affaires Baba Danpullo à l’opérateur MTN Cameroun.

Dans une deuxième correspondance adressée à la Commission bancaire de l’Afrique centrale (COBAC), également datée du 16 octobre 2025, Richard Evina Obam soutient que ces fonds « relèvent du monopole légal de la CDEC » et ne devraient pas être logés dans une banque commerciale.
Il invoque la loi camerounaise du 14 avril 2008, qui consacre la compétence exclusive de la CDEC en matière de gestion des dépôts, consignations et séquestres judiciaires.
Selon lui, le placement de ces montants dans une institution privée « viole la législation nationale » et prive la Caisse de son rôle de garant de la sécurité des fonds publics et para-publics.

Une confrontation à forts enjeux institutionnels

Le différend entre la CDEC et Afriland First Bank dépasse désormais la seule question financière pour toucher à des enjeux institutionnels de fond.
La CDEC cherche à affirmer sa position centrale dans le dispositif financier de l’État, en veillant à la traçabilité et à la transparence des fonds relevant du domaine public.
De son côté, Afriland First Bank, acteur incontournable du système bancaire camerounais, doit composer avec une régulation de plus en plus exigeante et un environnement où la frontière entre missions publiques et activités commerciales devient plus étroite.

Pour les observateurs, cette affaire illustre la montée en puissance de la CDEC, qui entend imposer sa légitimité face aux banques commerciales, dans un contexte marqué par la modernisation de la gouvernance financière et le renforcement des mécanismes de supervision impulsés par la COBAC et la BEAC.

Un test de transparence pour le système bancaire camerounais

Cette controverse intervient alors que le Cameroun s’efforce de renforcer la discipline budgétaire et la sécurisation des fonds publics.
Pour la CDEC, l’enjeu est clair : il s’agit de démontrer que la centralisation des consignations et des dépôts publics n’est pas une formalité administrative, mais un pilier de la bonne gouvernance financière.

Pour Afriland, cette affaire représente un test de conformité et de transparence, à un moment où la confiance du public et des autorités repose sur la capacité des banques à respecter strictement les règles édictées par les régulateurs.

En cas de procédure de recouvrement forcé, le dossier pourrait marquer un tournant dans les rapports entre les institutions bancaires et l’État régulateur, avec des implications potentielles sur la perception du risque et la gestion des fonds publics au sein du secteur financier camerounais.

Patrick Tchounjo

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