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COBAC sous pression : le Cameroun face à la plus grave crise de sa microfinance

Le secteur camerounais de la microfinance traverse l’une de ses pires crises depuis une décennie. En l’espace de quelques mois, plusieurs établissements ont été placés sous administration provisoire ou liquidés, fragilisant davantage un écosystème déjà miné par des problèmes de gouvernance, de liquidité et de confiance. La dernière décision en date concerne la Nouvelle financière africaine (Nofia S.A.), établissement de deuxième catégorie appartenant à l’homme d’affaires David Manfouo, désormais sous tutelle de la Commission bancaire de l’Afrique centrale (COBAC).

Une mise sous tutelle pour « sauver les meubles »

Selon une décision officielle de la COBAC, Nofia S.A. est placée sous administration provisoire pour six mois. La gestion de l’établissement est désormais confiée à Bogni Ngueya, nommé administrateur provisoire avec pour mission d’assainir la gestion interne, superviser les opérations courantes et rétablir la confiance des clients, investisseurs et partenaires.

Cette mesure d’urgence fait suite à des dysfonctionnements internes, des tensions de trésorerie et une incapacité à honorer certains engagements vis-à-vis des déposants. Officiellement, l’objectif de la COBAC est d’éviter un effondrement total et de préserver les avoirs des épargnants.

Mais dans les faits, cette décision ne fait qu’allonger une liste déjà longue d’institutions financières fragilisées. Ces derniers mois, des acteurs tels que Unics, Cecil, Cepac Solidarité ou encore Idev ont connu le même sort, cette dernière ayant été liquidée directement, sans passer par la phase de redressement.

Un secteur en surchauffe réglementaire

Avec 384 établissements de microfinance agréés sur les 521 recensés dans la zone CEMAC au 31 décembre 2024, selon la BEAC, le Cameroun concentre à lui seul près de 74 % du marché régional. Un poids qui fait du pays à la fois un moteur et un point de vulnérabilité du secteur sous-régional.

La microfinance camerounaise, longtemps perçue comme un instrument d’inclusion financière, est aujourd’hui rattrapée par ses propres limites. Beaucoup d’institutions se sont multipliées sans capitalisation suffisante, avec des modèles de gestion risqués, des placements hasardeux et une gouvernance parfois défaillante.

Pour la COBAC, qui veille à la stabilité du système bancaire et financier de la CEMAC, il s’agit désormais d’un chantier prioritaire. Le régulateur a multiplié les audits, mises sous tutelle et liquidations afin d’assainir un marché devenu difficilement contrôlable.

Des épargnants inquiets et un climat de défiance

Si ces mesures visent officiellement à protéger les déposants, elles ont surtout créé un climat de panique parmi les épargnants. Beaucoup redoutent désormais de perdre leurs économies, notamment ceux dont les comptes sont bloqués depuis plusieurs mois dans des institutions sous administration.

Les files d’attente devant les agences concernées et les plaintes d’usagers témoignent d’un niveau de confiance historiquement bas. Dans certains cas, des clients ont vu leurs dépôts « gelés » sans possibilité de retrait, tandis que d’autres déplorent l’absence d’informations claires sur le calendrier de remboursement.

Pour un expert du secteur financier basé à Douala, « la microfinance camerounaise est victime d’une double crise : celle de la gouvernance et celle de la confiance. Tant que la transparence ne sera pas rétablie, la reprise restera fragile ».

Un marché en quête d’assainissement et de consolidation

Cette vague d’administrations provisoires pourrait annoncer une restructuration profonde du secteur. Plusieurs analystes estiment que la COBAC cherche à réduire le nombre d’acteurs pour privilégier des institutions plus solides, mieux capitalisées et capables de respecter les normes prudentielles régionales.

Le Programme de renforcement de la supervision bancaire lancé par la BEAC en 2023 avait déjà mis en évidence les faiblesses structurelles du segment : absence de contrôle interne, pratiques comptables irrégulières et exposition excessive à des risques non couverts.

Pour le gouvernement camerounais, la stabilisation du secteur est devenue un enjeu de crédibilité financière et sociale. La microfinance joue un rôle crucial dans le financement des petites entreprises, des ménages et de l’économie informelle. Sa défaillance pourrait avoir des répercussions systémiques sur la bancarisation et la cohésion économique.

L’urgence d’un nouveau modèle de confiance

Face à cette situation, plusieurs voix appellent à une refondation du modèle camerounais de microfinance, avec une meilleure régulation de la gouvernance, une digitalisation accrue des opérations et une implication plus forte des autorités publiques dans la surveillance du secteur.

Certains établissements, comme Express Union ou Advans Cameroun, ont réussi à maintenir leur stabilité grâce à une gestion rigoureuse, démontrant que le modèle reste viable lorsque les standards internationaux de conformité sont respectés.

Pour sortir durablement de la crise, le Cameroun devra cependant aller au-delà des mesures de sauvetage ponctuelles et instaurer un cadre de supervision modernisé, inspiré des pratiques de la banque classique.

En attendant, la multiplication des faillites silencieuses continue d’alimenter les inquiétudes d’un secteur qui, autrefois symbole d’inclusion, devient aujourd’hui le maillon faible du système financier camerounais.

Patrick Tchounjo

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