CEMAC : la COBAC impose une cure de rigueur à la microfinance régionale

Le secteur de la microfinance, longtemps perçu comme un pilier de l’inclusion financière en Afrique centrale, traverse une zone de turbulence. En 2024, la Commission bancaire de l’Afrique centrale (COBAC) a procédé au retrait de 70 agréments d’établissements de microfinance dans la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC). Une mesure sans précédent qui révèle la fragilité structurelle d’un secteur pourtant essentiel à la vie économique de la sous-région.
Un assainissement nécessaire mais révélateur de tensions profondes
Selon des sources proches de la COBAC, ces retraits d’agrément concernent principalement des institutions de deuxième et troisième catégories, souvent incapables de respecter les exigences prudentielles en matière de fonds propres, de liquidité ou de gouvernance interne.
Cette vague de fermetures, la plus importante depuis cinq ans, s’inscrit dans une politique d’assainissement du système financier régional, destinée à préserver la stabilité et rétablir la confiance des épargnants.
Pour la COBAC, il ne s’agit pas d’une sanction isolée mais d’un signal fort adressé aux acteurs de la microfinance : la conformité réglementaire et la transparence de gestion sont désormais des prérequis incontournables pour opérer dans l’espace CEMAC.
« La microfinance doit rester un instrument de développement, pas un facteur de vulnérabilité systémique », confie un cadre de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC).
Un secteur vital pour l’économie réelle
La décision du régulateur intervient dans un contexte de forte dépendance des économies de la CEMAC à la microfinance. Le secteur représente en effet près de 20 % des dépôts bancaires dans certains pays et constitue souvent le seul canal d’accès au crédit pour les populations non bancarisées.
Au Cameroun, qui concentre plus de 70 % des établissements de microfinance de la région, plusieurs institutions ont été placées sous administration provisoire avant d’être liquidées. Des noms comme Unics, Cecil, Cepac Solidarité ou Nofia illustrent cette vague de restructurations.
Dans d’autres pays, comme le Congo, le Tchad ou la République centrafricaine, les retraits d’agrément se multiplient également, souvent pour cause de faillite de gestion, risques de solvabilité ou non-respect des normes comptables.
La conséquence directe est une érosion de la confiance du public, accentuée par des retards de remboursement et la fermeture brutale de guichets, parfois sans communication préalable aux déposants.
Des causes multiples : gouvernance, surendettement et risque de crédit
Les défaillances observées traduisent une combinaison de facteurs structurels : faiblesse des fonds propres, gouvernance défaillante, croissance non maîtrisée du portefeuille de prêts et exposition excessive aux risques de crédit.
Beaucoup de ces institutions ont accordé des crédits sans garanties suffisantes, parfois dans des secteurs à haut risque, comme le commerce informel ou les activités agricoles saisonnières.
Le taux de créances douteuses a ainsi franchi la barre des 15 % en moyenne régionale, contre un seuil réglementaire fixé à 5 %.
Dans ce contexte, la COBAC a renforcé les contrôles sur place et exigé une reconstitution immédiate des capitaux propres pour les établissements jugés viables.
« La croissance rapide de la microfinance dans la CEMAC s’est faite au détriment de la rigueur. Aujourd’hui, le régulateur remet de l’ordre dans un marché qui a longtemps échappé à un contrôle strict », analyse un économiste basé à Douala.
Le Cameroun, épicentre des réformes
Avec 384 institutions agréées sur les 521 recensées dans la zone CEMAC, le Cameroun reste l’épicentre du secteur.
Mais cette domination cache une forte hétérogénéité entre établissements solides et structures fragiles.
Pour Richard Evina Obam, directeur de la Caisse des dépôts et consignations du Cameroun (CDEC), « la microfinance doit être recentrée sur sa mission de financement de proximité, tout en adoptant des pratiques de gestion conformes aux standards bancaires ».
Le gouvernement camerounais a d’ailleurs engagé, en concertation avec la COBAC et la BEAC, un programme de modernisation du secteur visant à digitaliser les systèmes de reporting, améliorer la supervision et favoriser la consolidation à travers des fusions et restructurations encadrées.
Vers une recomposition du paysage financier régional
La vague de retraits d’agrément pourrait marquer le début d’une nouvelle ère pour la microfinance en Afrique centrale.
Les établissements les plus solides devraient tirer parti de la situation pour étendre leur réseau, tandis que les acteurs non conformes seront progressivement éliminés du marché.
L’objectif de la COBAC est de parvenir à un écosystème plus concentré mais plus sain, capable d’interagir efficacement avec les banques commerciales et les institutions publiques de financement.
À moyen terme, cette réforme structurelle pourrait renforcer la stabilité financière régionale et améliorer la protection des épargnants, même si elle s’accompagne à court terme d’une période de transition difficile pour les clients affectés.
Un secteur à reconstruire sur des bases solides
Les observateurs s’accordent à dire que le secteur de la microfinance en CEMAC entre dans une phase de transformation profonde.
Pour les institutions qui survivront à cette phase de rationalisation, les priorités seront la digitalisation, la professionnalisation du management, la diversification des produits financiers et une meilleure intégration avec les banques traditionnelles.
Si la microfinance veut conserver sa place stratégique dans l’inclusion financière et le financement des PME, elle devra prouver qu’elle peut conjuguer impact social et discipline financière.
La COBAC, de son côté, semble déterminée à faire de cette crise un tournant réglementaire vers un secteur plus robuste, capable de soutenir durablement la croissance économique de la CEMAC.
Patrick Tchounjo



