Banque & Vous

Politique monétaire en Cemac : la BEAC ramène son offre de liquidité à 700 milliards face à l’essoufflement de la demande

La Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) a légèrement desserré la bride de son dispositif d’injection de liquidité. Le 18 novembre 2025, l’institut d’émission des six pays de la Cemac (Cameroun, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, Tchad et Centrafrique) a mis à la disposition des banques une enveloppe de 700 milliards de FCFA, contre 800 milliards de FCFA lors des semaines précédentes.

Ce recul de 100 milliards est moins un geste spectaculaire qu’un ajustement fin, guidé par un indicateur clé : la demande réelle de liquidité des établissements de crédit. Selon les résultats de l’opération, les banques n’ont sollicité « que » 591 milliards de FCFA, soit leur plus faible niveau de demande depuis la seconde moitié de septembre 2025. Là où, il y a encore quelques semaines, leurs besoins flirtaient avec 650 milliards avant de culminer à 700 puis 800 milliards, l’appétit s’est clairement contracté.

Pour la BEAC, ce signal a valeur de baromètre. La banque centrale n’a aucune raison d’offrir 800 milliards de liquidités si les banques n’en consomment plus que 590. En ramenant son offre à 700 milliards, elle cherche à rester au plus près de la demande effective, tout en évitant d’injecter des volumes excessifs qui pourraient alimenter des tensions inflationnistes, des prises de risque hasardeuses ou des déséquilibres sur le marché monétaire.

Derrière cet ajustement technique se profile une question plus lourde : que nous dit le reflux de la demande des banques sur la dynamique du crédit et, au-delà, sur l’état de l’économie réelle dans la Cemac ?

La mécanique des opérations de refinancement hebdomadaire de la BEAC est devenue, au fil des années, un indicateur avancé de la santé du système bancaire régional. Lorsque la demande de liquidité des établissements de crédit augmente, cela peut signifier que le crédit progresse, que les portefeuilles de prêts se développent et que les banques ont besoin de ressources supplémentaires pour soutenir ce mouvement. À l’inverse, une contraction durable de ces besoins peut traduire une moindre appétence pour le risque, un ralentissement de la demande de crédit ou une recomposition des bilans au profit de placements plus liquides et moins risqués.

La séquence observée en 2025 est instructive. À partir de la fin septembre, les banques commerciales de la Cemac ont progressivement relevé leurs sollicitations auprès de la BEAC, passant d’un palier proche de 650 milliards de FCFA à des niveaux avoisinant 700, puis 800 milliards. La banque centrale avait accompagné ce mouvement, augmentant son offre pour que le resserrement de liquidité ne se traduise pas par des secousses sur les taux du marché monétaire ou par des tensions de financement.

Le retournement intervenu début novembre avec une demande retombant à 591 milliards pourrait signaler le début d’un cycle moins expansif. En d’autres termes, les banques auraient moins besoin de refinancement central parce qu’elles accordent moins de nouveaux crédits ou qu’elles se montrent plus sélectives dans leurs engagements.

Cette interprétation est renforcée par le calendrier. À l’approche de la clôture des exercices comptables, les établissements bancaires sont traditionnellement plus attentifs à la qualité de leurs actifs et à leurs ratios prudentiels. Les comités de crédit resserrent la vis, privilégient des financements de court terme à faible risque, et se concentrent davantage sur la gestion des encours existants que sur l’ouverture de nouveaux dossiers d’investissement.

Dans ce contexte, la structure de la demande de crédit évolue. Les banques continuent de financer la consommation de fin d’année (crédits personnels, facilités pour les ménages, besoins de trésorerie des entreprises liés aux pics d’activité) mais relèguent souvent au second plan les projets d’investissement lourds, plus risqués et plus consommateurs de capital réglementaire. Or ce sont précisément ces grands financements (industriels, énergétiques, infrastructurels) qui requièrent des ressources de long terme et stimulent le recours massif aux opérations de refinancement central.

La contraction récente de la demande de liquidité peut ainsi être lue comme le reflet d’un profil de crédit plus défensif, privilégiant des opérations de faible montant et de courte durée. Pour une zone monétaire en quête de croissance soutenable, c’est un signal ambivalent : rassurant sur la prudence des banques, mais inquiétant pour la dynamique de l’investissement productif.

Pour la BEAC, l’enjeu est d’ajuster la voilure sans casser ce qui reste d’élan au sein de l’économie régionale. En ramenant son offre à 700 milliards de FCFA, la banque centrale envoie un message de normalisation progressive, après une séquence marquée par des injections massives destinées à accompagner la reprise post-chocs et à amortir les effets des tensions extérieures sur les trésoreries bancaires.

L’institut d’émission doit jongler avec plusieurs contraintes. D’un côté, il lui faut garantir une liquidité suffisante pour que les banques puissent financer l’économie réelle, éviter les ruptures de crédit et maintenir la confiance des déposants. De l’autre, elle doit veiller à ne pas entretenir un environnement de liquidité trop abondante, propice aux prises de risque excessives, à la spéculation sur les titres publics ou à la déstabilisation du régime de change.

En toile de fond, la BEAC poursuit son cycle de politique monétaire dans une région confrontée à des défis multiples : inflation encore sensible dans certains pays, volatilité des recettes d’exportation liées au pétrole et aux matières premières, et nécessité de préserver des réserves de change suffisantes pour défendre le franc CFA arrimé à l’euro. La gestion fine de la liquidité bancaire devient alors un instrument clé pour concilier stabilité macroéconomique et soutien à l’activité.

Reste une interrogation centrale : la baisse de la demande de liquidité observée en novembre marque-t-elle un simple ajustement saisonnier ou le début d’un ralentissement plus profond du crédit dans la Cemac ?

À court terme, les éléments disponibles plaident pour un effet largement saisonnier, lié à la fin d’exercice et aux arbitrages de bilan. Mais si cette tendance devait se prolonger au-delà des premières semaines de 2026, elle pourrait signaler un essoufflement plus préoccupant : celui d’un secteur bancaire qui, confronté à des risques accrus (créances douteuses, exposition aux États, fragilité de certains emprunteurs), choisirait de se replier sur des positions plus prudentes, au détriment du financement de l’investissement privé.

Pour les autorités monétaires comme pour les gouvernements de la région, l’enjeu sera alors de lire correctement ces signaux. Une demande de liquidité moins forte peut sembler, à première vue, un signe de normalisation. Mais elle peut aussi masquer un durcissement de l’accès au crédit pour les entreprises, en particulier les PME, déjà confrontées à des conditions financières exigeantes et à des garanties difficiles à réunir.

Dans un contexte où la Cemac cherche à diversifier ses économies au-delà des matières premières, la qualité du dialogue entre la BEAC, les superviseurs bancaires et les acteurs du secteur privé sera déterminante. Trop de liquidité au mauvais moment peut alimenter des bulles et des déséquilibres ; pas assez au bon moment peut étouffer un début de reprise. C’est sur cette ligne de crête que se joue, en grande partie, la trajectoire de la zone dans les prochaines années.

Patrick Tchounjo

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page