Marchés & Financements

Finance climatique : comment la BDEAC veut transformer le Fonds bleu en pipeline de plus de 10 Mds USD

La Banque de développement des États de l’Afrique centrale (BDEAC) veut arriver à la COP30 avec des arguments chiffrés, structurés et « bancables ». À Belém, l’institution régionale a réuni bailleurs et États pour une pré-table ronde des investisseurs consacrée au financement du premier programme de projets prioritaires du Fonds bleu pour le bassin du Congo (F2BC). Au cœur de cette offensive, un portefeuille de 43 projets pour un montant total de 3,6 milliards USD, soit près de 2 200 milliards FCFA, couvrant la gestion durable des ressources naturelles, les infrastructures résilientes, la pêche, le tourisme écologique, la recherche scientifique et la santé environnementale.

L’objectif est explicite : présenter en amont de la COP un pipeline suffisamment structuré pour parler le même langage que les bailleurs de fonds, sécuriser des engagements concrets et positionner le bassin du Congo comme une destination prioritaire des financements climatiques internationaux.

Un portefeuille calibré pour convaincre les bailleurs

La démarche de la BDEAC repose sur un principe clé de la finance climatique : les bailleurs ne financent pas des intentions, mais des projets prêts à l’emploi. Les 43 projets retenus constituent le premier programme prioritaire du F2BC et ont été conçus pour répondre simultanément aux enjeux de conservation, de développement économique et de résilience des populations du bassin.

Selon la banque de développement, 77 % des projets sont nationaux et 23 % régionaux, avec un socle commun de critères d’impact environnemental et social. L’idée est de montrer que chaque dollar investi dans le bassin du Congo produit un double dividende : climat et développement. En structurant des opérations « finançables » – avec études, montages institutionnels et mécanismes de suivi déjà avancés – la BDEAC tente de réduire l’un des principaux freins des bailleurs : le manque de projets suffisamment matures pour absorber les enveloppes annoncées lors des grandes conférences internationales.

La présence des pays membres de la Commission Climat du bassin du Congo, de l’Angola au Cameroun, de la Centrafrique au Congo et à la République démocratique du Congo, traduit une mobilisation politique et technique peu commune dans une région souvent fragmentée. Ce socle d’alignement régional est un atout pour crédibiliser le dispositif auprès des partenaires financiers.

La BDEAC en maître d’œuvre de l’architecture financière du Fonds bleu

En tant que gestionnaire du F2BC, la BDEAC se positionne au centre de l’architecture financière du mécanisme. Son mandat va au-delà de la simple mise à disposition de ressources : elle structure les projets, agrège les besoins des États, canalise les fonds des partenaires techniques et financiers et suit la mise en œuvre des opérations sur le terrain.

Ce rôle renforce le positionnement de la banque comme véritable banque de développement climatique de l’Afrique centrale. Pour le secteur bancaire et financier de la région, l’enjeu est considérable. En structurant des projets de 3,6 milliards USD dans une première phase, la BDEAC crée un deal flow susceptible de mobiliser, à côté des bailleurs, les banques commerciales, les investisseurs institutionnels et, à terme, les marchés de capitaux régionaux via des instruments comme les obligations vertes ou les lignes de crédit climatiques.

La prochaine étape sera la table ronde des bailleurs prévue en mai 2026 à Brazzaville, en marge des assemblées annuelles de la Banque africaine de développement. Ce rendez-vous doit servir de moment de vérité : transformer la dynamique de Belém en engagements chiffrés, en s’appuyant sur le travail de pré-structuration réalisé par la BDEAC et les États membres de la Commission Climat.

Un mécanisme régional qui vise plus de 10 milliards USD

Le premier portefeuille de 3,6 milliards USD n’est qu’une tranche d’un mécanisme beaucoup plus large. À terme, le Fonds bleu pour le bassin du Congo vise plus de 10 milliards USD pour financer ses différents programmes. L’ambition est de couvrir les besoins d’investissement d’une région qui abrite la deuxième plus grande forêt tropicale du monde, tout en restant l’une des zones les moins financées par les flux climatiques internationaux.

Le F2BC se veut un mécanisme innovant : il combine projets nationaux et projets régionaux à fort effet de levier, avec une logique de cofinancement qui associe États, institutions de développement, secteur privé et, potentiellement, instruments de marché. Sur le papier, il peut devenir une plateforme de convergence entre les agendas climat, biodiversité et développement.

Pour les bailleurs bi et multilatéraux, un tel dispositif facilite la mise en œuvre de leurs propres engagements, en leur offrant un interlocuteur unique, une gouvernance régionale identifiée et des projets standardisés selon des critères internationaux de performance climatique.

Un enjeu stratégique pour les banques et marchés de la région

Au-delà de la diplomatie climatique, le F2BC ouvre un champ d’opportunités pour les banques d’Afrique centrale et les marchés financiers de la zone CEMAC. Chaque projet financé nécessitera des relais locaux : crédits aux entreprises qui réalisent les travaux, financement de PME actives dans les filières forestières durables, solutions de trésorerie pour les coopératives, instruments assurantiels pour couvrir les risques climatiques, voire émissions obligataires thématiques.

La BDEAC, en tant que pivot du mécanisme, peut jouer un rôle de catalyseur auprès des établissements de crédit, en structurant des lignes dédiées à la finance verte, des guichets de refinancement pour projets climatiques, ou encore des produits de partage de risques qui permettent aux banques commerciales de prêter davantage à des projets à forte composante environnementale.

Cette dynamique pourrait, à moyen terme, alimenter un embryon de marché régional des “green bonds” adossés à des projets du bassin du Congo, contribuant à diversifier les portefeuilles des investisseurs institutionnels locaux et à attirer de nouveaux capitaux internationaux sensibles aux critères ESG.

Un test de crédibilité pour le tandem BDEAC–Fonds bleu

La réussite de ce premier portefeuille de 3,6 milliards USD sera observée de près. Si les projets se financent et se mettent en œuvre dans les délais, avec des résultats tangibles en matière de réduction de la déforestation, de résilience des communautés, de création d’emplois verts et de génération de revenus, le F2BC gagnera en crédibilité et pourra accélérer vers son objectif de plus de 10 milliards USD.

À l’inverse, des retards, des blocages administratifs ou un manque de transparence dans la gestion des ressources risqueraient d’affaiblir le mécanisme au moment où la compétition est forte entre régions du monde pour capter des financements climatiques limités.

En structurant dès aujourd’hui un pipeline de projets « finançables » et en assumant un rôle central dans l’architecture financière du Fonds bleu, la BDEAC donne aux États du bassin du Congo un outil de négociation et d’exécution dont ils manquaient jusqu’ici. La COP30, puis la table ronde de Brazzaville en 2026, diront si ce pari peut transformer le bassin du Congo en véritable hub africain de la finance climatique et de la bancabilité verte.

Patrick Tchounjo

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