La BDEAC décroche une Ba3 chez Moody’s et se rapproche des marchés internationaux

La Banque de développement des États de l’Afrique centrale (BDEAC) vient de franchir un cap stratégique dans sa transformation financière. L’institution basée au Congo a obtenu sa première notation internationale, fixée à Ba3 avec perspective stable. Cette note la place dans la catégorie dite spéculative, mais dans sa tranche supérieure, à seulement deux niveaux de la catégorie “investment grade” réservée aux émetteurs présentant un faible risque de crédit.
Au-delà de la symbolique, cette notation positionne la BDEAC parmi les signatures les plus solides de la zone CEMAC et lui ouvre une nouvelle étape : l’accès progressif aux marchés internationaux de capitaux, afin de financer plus largement son plan stratégique 2023-2027, évalué à 1 700 milliards FCFA.
Selon l’agence de notation, la qualité de crédit de la BDEAC reflète le rôle de premier plan qu’elle joue dans le financement des projets structurants de la CEMAC, le renforcement du soutien actionnarial après l’augmentation de capital intervenue en 2023, ainsi que la modernisation en cours de la gouvernance et de la gestion des risques dans le cadre du plan stratégique “Azobé” 2023-2027. Les réformes engagées visent à améliorer la qualité des actifs, la maîtrise du risque et la capacité de mobilisation des ressources, même si la banque reste exposée aux fragilités de certains de ses emprunteurs souverains.
La perspective stable attachée à cette note traduit une vision équilibrée des risques. Elle suppose que la BDEAC sera en mesure de maintenir un profil financier robuste, malgré les défis liés aux conditions de liquidité dans la zone CEMAC, au rythme d’absorption du capital et aux pressions macroéconomiques qui pèsent sur plusieurs États membres. En d’autres termes, l’agence considère que les fondamentaux de la banque et les réformes en cours compensent les vulnérabilités du contexte régional.
Sur le plan opérationnel, cette première notation marque un tournant. Jusqu’ici, la BDEAC s’appuyait principalement sur le marché financier régional et sur des lignes concessionnelles pour mobiliser des ressources. Si ces canaux demeurent essentiels, ils se heurtent à la faible profondeur du marché domestique et au durcissement des conditions de liquidité dans la CEMAC. L’obtention d’une signature Ba3 permet à la banque d’envisager, à moyen terme, des émissions en devises sur les marchés internationaux, sous forme d’euro-obligations, de placements privés ou de lignes syndiquées avec des banques et investisseurs globaux.
Pour les États de la CEMAC, l’enjeu est d’importance. Une BDEAC mieux notée, mieux capitalisée et capable de lever des ressources longues et diversifiées représente un levier supplémentaire de financement des projets d’infrastructures, d’intégration régionale, de transition énergétique et de développement durable. Dans un contexte de contraintes d’endettement souverain, les pays peuvent trouver dans la banque de développement une interface plus efficace pour structurer des financements complexes et mutualiser certains risques.
La direction de la BDEAC voit dans cette note la reconnaissance d’un travail de transformation engagé depuis plusieurs années. Le plan “Azobé” 2023-2027 combine recapitalisation, modernisation des procédures, renforcement du contrôle interne, montée en puissance des équipes risques et diversification des produits financiers. L’objectif est de faire passer la banque d’un modèle essentiellement tourné vers le financement de projets publics à une plateforme plus intégrée, capable de mobiliser des capitaux privés et de cofinancer des opérations avec d’autres institutions de développement.
Pour l’écosystème financier d’Afrique centrale, cette première notation crée également un point de référence. Elle montre qu’une institution régionale peut se soumettre aux exigences d’une notation internationale, améliorer sa transparence et se doter d’outils de gestion des risques comparables à ceux d’acteurs globaux. Elle peut aussi inciter d’autres entités, qu’il s’agisse de banques commerciales ou d’entreprises publiques régionales, à suivre le même chemin pour accéder à des financements plus diversifiés.
Le défi, pour la BDEAC, sera désormais de transformer cette Ba3 en accès effectif aux marchés internationaux, à des conditions compétitives, tout en préservant la qualité de son portefeuille et la soutenabilité de son endettement. Si la banque parvient à lever des ressources significatives sur ces marchés pour refinancer à meilleur coût son plan stratégique de 1 700 milliards FCFA, tout en continuant à renforcer sa gouvernance et son profil de risque, cette première notation pourra être considérée comme une véritable bascule dans l’histoire de la finance de développement en Afrique centrale.
Patrick Tchounjo



