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CEMAC : la BEAC ouvre la course au premier DG du Dépositaire central unique

La Banque des États de l’Afrique centrale vient d’ouvrir un chapitre décisif pour l’avenir du marché financier régional. Par un appel à candidatures signé le 21 novembre, la BEAC lance officiellement la procédure de recrutement du premier Directeur général du Dépositaire central unique de la CEMAC (DCU-CEMAC), l’infrastructure chargée de centraliser la conservation des titres et d’assurer le dénouement des transactions boursières dans l’union. Les dossiers doivent parvenir à la Banque centrale au plus tard le 27 novembre 2025.

Derrière cet appel à candidatures, c’est bien plus qu’un simple poste de direction qui se joue. Il s’agit de choisir le pilote d’une structure appelée à devenir la colonne vertébrale du marché financier d’Afrique centrale, dans un contexte où la région cherche encore à transformer des réformes institutionnelles en volumes d’échanges réels.

Un poste stratégique au cœur de l’architecture du marché financier CEMAC

Le Dépositaire central unique est conçu comme la tour de contrôle opérationnelle du marché financier régional. Sa mission sera de centraliser la conservation des titres, d’assurer le règlement-livraison des transactions boursières et de garantir la traçabilité des mouvements de titres, qu’il s’agisse d’obligations d’État, de titres de créance négociables ou d’actions cotées à la Bourse des valeurs mobilières de l’Afrique centrale.

Le futur Directeur général du DCU-CEMAC aura donc pour responsabilité de transformer une infrastructure en grande partie conçue sur le papier en un dispositif pleinement opérationnel, fiable et crédible aux yeux des États, des banques, des entreprises émettrices et des investisseurs institutionnels. Il devra organiser les équipes, cadrer les procédures, mettre en place les systèmes d’information et dialoguer avec l’ensemble de l’écosystème, des teneurs de compte-conservateurs aux régulateurs en passant par les Trésors publics nationaux.

Dans une région où le volume des échanges boursiers reste modeste malgré la multiplication des émissions obligataires, ce poste de Directeur général ressemble à un véritable mandat de transformation. La manière dont il sera exercé pèsera sur la capacité du marché financier de la CEMAC à monter en gamme, à sécuriser ses opérations et à attirer des capitaux de long terme.

D’un dispositif transitoire à une infrastructure pérenne

Depuis 2019, en attendant la création du Dépositaire central unique, la BEAC assure elle-même, à titre transitoire, la conservation des titres et le règlement-livraison. Cette solution provisoire a accompagné la réforme d’unification du marché financier, marquée notamment par la fusion entre la Douala Stock Exchange et la BVMAC et le déplacement du siège de la bourse à Libreville.

Mais la montée en charge du DCU-CEMAC a plusieurs fois été retardée. La Bourse a publiquement accusé la Banque centrale d’avancer « de manière poussive et confidentielle », reflet des tensions entre l’institut d’émission, qui porte le projet, et certains acteurs du marché, soucieux de préserver leurs prérogatives dans la nouvelle architecture financière.

En octobre, un pas concret a finalement été franchi avec l’autorisation donnée à la BEAC de libérer plus de 1,8 milliard de FCFA pour boucler le capital du Dépositaire central unique, dont environ 814,5 millions au titre du portage provisoire des actions non libérées par certains actionnaires. La nouvelle entité, structurée en société anonyme, sera détenue par la BEAC, la BDEAC et la BVMAC, cette dernière devant en contrôler près de 40 %. Le recrutement du premier Directeur général intervient donc à un moment charnière, où l’architecture capitalistique est enfin clarifiée et où la pression monte pour rendre l’infrastructure opérationnelle avant la fin de l’année.

Un profil de dirigeant calibré pour la finance de marché

L’appel à candidatures décrit un profil de dirigeant clairement orienté vers la finance de marché et la gestion d’infrastructures financières. Le futur DG devra être âgé de moins de 57 ans, justifier d’au moins dix années d’expérience en encadrement, avec une préférence nette pour les parcours passés par les métiers de marché, la conservation de titres, la gestion de systèmes de paiement ou les dépôts centraux.

La procédure de sélection se veut encadrée. Une commission ad hoc présélectionnera six candidats, la BEAC en retiendra trois, qui seront soumis au Conseil d’administration inaugural du DCU-CEMAC. Ce dernier aura la responsabilité de trancher, en gardant à l’esprit la double exigence de compétence technique et de capacité à évoluer dans un environnement politique et institutionnel complexe.

Le Directeur général devra en effet composer avec un actionnariat multiple, des régulateurs communautaires et nationaux, des États aux intérêts parfois divergents, des banques qui craignent de perdre une partie de leurs revenus liés à la conservation des titres, et une Bourse qui attend du DCU des services performants et des délais de règlement compétitifs.

Enjeux pour les banques, les États et les investisseurs

L’arrivée d’un Dépositaire central unique pleinement fonctionnel est loin d’être un sujet purement technique. Pour les États de la CEMAC, il s’agit d’un levier pour sécuriser les émissions de titres publics, rendre plus fluide le marché secondaire et, à terme, réduire le coût de leur dette en améliorant la liquidité de leurs obligations.

Pour les banques, le DCU-CEMAC est à la fois une contrainte et une opportunité. Il rebat les cartes sur la conservation des titres et les fonctions de back-office, mais il ouvre aussi la porte à la mise en place de nouveaux produits, comme des opérations de pensions livrées plus sophistiquées, des instruments de couverture ou des titres structurés. Un dépositaire central robuste est une condition nécessaire pour développer des marchés de refinancement et pour valoriser correctement les portefeuilles de titres dans les bilans bancaires.

Pour les investisseurs institutionnels, la fiabilité du règlement-livraison, la centralisation des positions et la qualité de la tenue de registre sont des prérequis avant d’augmenter leur exposition à une place financière. La nomination du DG du DCU-CEMAC sera donc observée de près par les assureurs, caisses de retraite, fonds de pension et gérants d’actifs de la sous-région, mais aussi par les investisseurs étrangers qui suivent de loin l’évolution du marché financier d’Afrique centrale.

Un test pour l’intégration financière régionale

Au-delà de la personne qui sera choisie, ce recrutement est un test de maturité pour l’intégration financière de la CEMAC. La réforme d’unification du marché est engagée depuis 2019, mais beaucoup considèrent que le chantier reste inachevé tant que le Dépositaire central unique n’est pas opérationnel.

Si la BEAC parvient à sélectionner un profil reconnu, à installer une gouvernance crédible et à déployer rapidement des systèmes performants, le DCU-CEMAC pourra devenir un argument fort pour convaincre que l’union est capable de se doter des mêmes infrastructures de marché que les autres zones économiques africaines. Dans le cas contraire, de nouveaux retards alimenteraient le scepticisme des acteurs et prolongeraient un statu quo où la Bourse reste sous-utilisée, alors même que les besoins de financement en capitaux longs des États, des banques et des entreprises n’ont jamais été aussi élevés.

En lançant un appel à candidatures ouvert pour ce poste de Directeur général, la BEAC signale qu’elle veut donner une dimension visible et structurante à cette nomination. Le profil qui émergera de ce processus dira beaucoup de la manière dont l’Afrique centrale entend gérer son Dépositaire central unique : comme un simple prolongement administratif de la Banque centrale, ou comme une véritable infrastructure de marché, moderne, performante et tournée vers l’attraction de nouveaux capitaux.

Patrick Tchounjo

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