Cameroun : 1,5 milliard FCFA injectés à la BC-PME pour doper les TPE-PME « à taux bonifiés »

À Yaoundé, le financement des petites entreprises ne se joue plus seulement dans les discours. Le ministère des Petites et Moyennes Entreprises, de l’Économie sociale et de l’Artisanat (Minpmeesa) vient de transférer 1,5 milliard FCFA à la Banque Camerounaise des PME (BC-PME), dans le cadre d’une convention signée le 4 décembre. L’objectif affiché est de financer, « à taux bonifiés », les très petites, petites et moyennes entreprises ainsi que les organisations de l’économie sociale engagées dans les chaînes de valeur agropastorales et halieutiques.
Cette enveloppe, inscrite au budget 2025, s’inscrit dans la mise en œuvre du Plan intégré d’import-substitution agropastoral et halieutique (PIISAH), qui vise à réduire la dépendance du pays aux importations alimentaires en soutenant la production et la transformation locales. Au-delà du signal politique, l’opération met la lumière sur un instrument longtemps resté en retrait : la BC-PME, banque publique spécialisée, appelée à jouer un rôle plus offensif dans le financement ciblé des petites entreprises.
Un financement fléché vers la transformation et l’équipement
La convention entre le Minpmeesa et la BC-PME ne se contente pas d’annoncer une enveloppe globale, elle précise aussi l’utilisation des 1,5 milliard FCFA.
Sur ce montant, 330 millions FCFA sont réservés à la mise en place de dix unités individuelles de transformation agroalimentaire, portées par des entrepreneurs ou des très petites entreprises dans les filières ciblées. Ces projets doivent permettre à des acteurs locaux de passer du stade de la production primaire à celui de la transformation, là où se crée une part importante de la valeur ajoutée.
Une enveloppe de 930 millions FCFA est dédiée à trois unités collectives pilotes, portées notamment par des coopératives ou des organisations de producteurs. Ces plateformes de transformation mutualisées doivent favoriser les économies d’échelle, structurer des circuits d’approvisionnement et renforcer le pouvoir de négociation des petits producteurs face au marché.
Enfin, 240 millions FCFA sont destinés à l’acquisition d’équipements modernes de transformation, en particulier des pressoirs d’huile de palme pour les coopératives. L’objectif est d’améliorer la productivité, la qualité des produits et la conformité aux standards requis pour accéder aux marchés formels, qu’il s’agisse de la grande distribution ou de la transformation industrielle.
Taux bonifiés : un test pour la BC-PME comme bras financier de l’État
L’un des points saillants de cette convention est la mention de financements « à taux bonifiés ». Concrètement, l’État accepte de supporter une partie du coût du crédit pour permettre aux bénéficiaires d’accéder à des financements à un taux inférieur à celui du marché.
Dans un environnement CEMAC marqué par des taux d’intérêt élevés pour les petites entreprises et par une perception de risque souvent jugée excessive par les banques classiques, ce mécanisme vise à corriger une défaillance de marché bien identifiée : les TPE-PME productives, notamment rurales, restent largement sous-financées.
Pour la BC-PME, l’enjeu est double. La banque doit d’une part démontrer qu’elle est capable de déployer rapidement ces ressources vers des projets viables, en respectant les critères du PIISAH et en maîtrisant le risque de crédit. Elle doit d’autre part prouver qu’un modèle de financement ciblé, subventionné à la source par l’État, peut fonctionner sans se transformer en guichet politique ni en gisement de créances douteuses.
La convention prévoit que la BC-PME tienne une comptabilité spécifique pour les fonds transférés, afin d’assurer la traçabilité des ressources, la transparence des décaissements et l’évaluation de l’impact.
Rôles partagés : à l’État le ciblage, à la banque l’allocation
Le texte signé le 4 décembre clarifie le partage des rôles entre le ministère et la banque publique.
Le Minpmeesa est chargé d’identifier les entreprises éligibles et de faciliter les procédures administratives liées au programme. Ce positionnement s’appuie sur son réseau déconcentré, ses interactions avec les chambres consulaires et les organisations professionnelles, ainsi que sur son expérience dans la labellisation des projets et des structures de l’économie sociale.
La BC-PME, elle, doit traiter ces dossiers avec une logique de banque commerciale spécialisée : analyse du risque, structuration des financements, suivi des remboursements. Elle s’engage à garantir un accès non discriminatoire aux financements pour tout opérateur répondant aux critères du PIISAH, indépendamment de son affiliation politique, de sa localisation ou de sa taille, dès lors qu’il entre dans le cadre défini.
Cette architecture vise à éviter deux écueils classiques des lignes de crédit publiques, à savoir un ciblage flou qui dilue l’impact sectoriel et une interférence politique excessive dans les décisions de crédit. Si la mécanique est respectée, la BC-PME pourrait se positionner comme un instrument technique de mise en œuvre des politiques publiques, et non comme un simple prolongement administratif du ministère de tutelle.
Import-substitution : de la stratégie à la matérialité des projets
En inscrivant ce financement dans le Plan intégré d’import-substitution agropastoral et halieutique, le gouvernement camerounais tente de passer du discours stratégique à la matérialité des projets.
L’idée centrale du PIISAH est de remplacer progressivement certaines importations, par exemple la farine, les produits laitiers, les poissons, les huiles ou certains intrants, par une production locale mieux organisée, plus compétitive et plus intégrée. Dans cette logique, financer des unités de transformation et des équipements modernes n’est pas anecdotique, c’est une manière de déplacer la valeur ajoutée à l’intérieur du pays, tout en créant des emplois et en stabilisant les revenus des producteurs.
Pour que l’effet soit réel, plusieurs conditions devront toutefois être réunies. Il faudra sélectionner des projets économiquement viables, capables de s’insérer dans des chaînes de valeur existantes ou en construction, garantir la disponibilité d’intrants de qualité et en quantité suffisante et assurer l’accès aux marchés, via des circuits de distribution formels et informels. Sans ces éléments, le risque serait de financer des équipements qui tournent à bas régime, voire restent sous-utilisés faute de débouchés ou de structuration en amont.
2026, première année-test pour les décaissements
Selon le ministère, les premiers financements au profit des PME interviendront dès 2026. Cette année sera d’autant plus stratégique qu’une nouvelle dotation publique de 1,6 milliard FCFA est déjà annoncée pour soutenir l’entrepreneuriat.
Autrement dit, si la première enveloppe de 1,5 milliard FCFA est effectivement engagée de manière satisfaisante, en termes de volume de projets financés, de qualité des bénéficiaires et de respect des critères, le dispositif pourrait rapidement changer d’échelle.
Pour la BC-PME, 2026 apparaîtra comme une année-test, celle où il faudra transformer une ligne budgétaire et une convention ministérielle en un portefeuille de crédits réels, avec des entrepreneurs identifiés, des unités opérationnelles et des flux de remboursement observables.
Pour le Minpmeesa, l’enjeu sera de démontrer que la logique de chaînes de valeur agropastorales et halieutiques n’est pas un simple slogan, mais une matrice de sélection de projets cohérente, qui permet de prioriser des filières à fort potentiel d’impact sur la balance commerciale et la sécurité alimentaire.
Une opportunité, mais aussi un test pour la politique de financement des PME
Le transfert de 1,5 milliard FCFA à la BC-PME est à la fois une opportunité et un test pour la politique camerounaise de financement des PME.
C’est une opportunité parce qu’il met enfin des ressources ciblées à la disposition d’une banque spécialisée, en lien avec une stratégie sectorielle précise, au moment où de nombreuses études pointent le manque d’accès au crédit comme l’un des principaux freins à la croissance des petites entreprises.
C’est un test parce qu’il confronte l’appareil public à des questions très concrètes : la capacité à sélectionner les bons projets, à résister aux pressions clientélistes, à garantir l’égalité d’accès et à faire de la BC-PME un véritable outil de politique économique, et non un guichet de plus.
Si le dispositif fonctionne, il pourrait servir de modèle reproductible sur d’autres segments comme la transformation du bois, l’économie verte ou l’industrie légère, et repositionner la BC-PME au cœur des débats sur la bancarisation de l’économie réelle au Cameroun. Dans le cas contraire, cette enveloppe de 1,5 milliard FCFA risque de rejoindre la liste des programmes bien conçus sur le papier, mais peu visibles sur le terrain.
Patrick Tchounjo



