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Fitch propulse la Côte d’Ivoire au rang de 2ᵉ meilleure note d’Afrique subsaharienne

La Côte d’Ivoire vient de franchir un cap symbolique sur la scène financière internationale. Le 12 décembre, l’agence Fitch Ratings a relevé la note souveraine du pays de « BB- » à « BB », avec une perspective stable. Cette décision fait passer Abidjan au rang de deuxième économie la mieux notée d’Afrique subsaharienne, derrière le Botswana, mais désormais devant l’Afrique du Sud, pourtant première puissance industrialisée du continent.

Ce relèvement, intervenu sans passer par l’étape habituelle de « BB- avec perspective positive », est interprété comme un signal de confiance fort dans les fondamentaux ivoiriens et la trajectoire de ses finances publiques.

Un surclassement rare dans les standards Fitch

Dans la méthodologie de Fitch, le schéma classique d’amélioration de notation est progressif : stabilisation de la note, passage éventuel à une perspective positive, puis relèvement d’un cran. En choisissant de surclasser directement la Côte d’Ivoire à « BB » tout en conservant une perspective stable, l’agence sort de ce chemin balisé.

Le message implicite est clair : la dynamique ivoirienne ne relève pas d’un rebond ponctuel mais d’une tendance structurelle jugée crédible. La Côte d’Ivoire se retrouve ainsi à un cran de la catégorie « Investment Grade », celle qui regroupe les pays émergents et développés considérés comme les moins risqués.

Dans un contexte global marqué par des dégradations de notes – y compris pour des signatures comme la France ou le Sénégal – ce mouvement à contre-courant renforce la lisibilité de la trajectoire ivoirienne auprès des gestionnaires d’actifs, fonds obligataires et investisseurs de long terme.

Croissance robuste et diversification sectorielle

Au cœur de la décision de Fitch, la performance macroéconomique de la Côte d’Ivoire continue de se distinguer dans le paysage africain. L’agence met en avant une croissance du PIB parmi les plus élevées du continent, avec des projections dépassant 6 % en moyenne sur les prochaines années.

Cette croissance n’est plus uniquement tirée par les exportations traditionnelles de cacao ou de café. Fitch souligne trois dynamiques majeures : la montée en puissance des secteurs pétrolier, gazier et minier avec l’émergence d’une filière extractive plus structurée ; la consolidation progressive de l’industrie, portée par l’agro-industrie, les matériaux de construction et les biens de consommation ; et la poursuite de la transformation agricole, qui vise à capter davantage de valeur ajoutée localement plutôt que d’exporter des matières premières brutes.

Cette diversification renforce la résilience du pays face aux chocs de prix sur les matières premières et réduit progressivement sa vulnérabilité à un nombre limité de filières.

Discipline budgétaire et trajectoire de dette sous contrôle

L’autre pilier de l’amélioration de la note réside dans la gouvernance budgétaire. Fitch souligne la mobilisation accrue des recettes et une discipline des dépenses qui permettent au déficit public de revenir au seuil de 3 % du PIB, en ligne avec les critères de convergence régionaux.

Sur la dette, la Côte d’Ivoire évolue dans un environnement mondial moins favorable, marqué par des coûts de financement plus élevés sur les marchés internationaux. Malgré cela, l’agence salue une gestion jugée rigoureuse et proactive de l’endettement. Le ratio dette/PIB est attendu en baisse, de 59,5 % en 2024 à 58,2 % dès 2025. Cette évolution suggère que la croissance nominale dépasse l’augmentation de l’encours et que la stratégie d’émission, de reprofilage et de diversification des sources de financement porte ses fruits.

Un pôle de stabilité dans une région sous tension

La décision de Fitch intervient dans un environnement régional fragilisé. La bande sahélienne fait face à une intensification des risques sécuritaires. Les marchés obligataires de certains pays voisins sont soumis à une pression accrue, comme en témoigne la dégradation récente de la note souveraine du Sénégal.

Dans ce contexte, la Côte d’Ivoire apparaît comme un pôle de stabilité relative. L’agence met en avant la stabilité retrouvée de l’environnement politique, illustrée par la tenue sans heurts de la dernière présidentielle, qui renforce la prévisibilité des politiques publiques.

Pour les investisseurs internationaux, cette combinaison de croissance soutenue, de discipline budgétaire et de stabilité politique fait de la Côte d’Ivoire un point d’ancrage dans une région perçue comme risquée. Cela peut se traduire par une demande plus soutenue pour ses émissions de dette, une compression progressive des spreads et de meilleures conditions de financement sur les marchés internationaux et régionaux.

Un signal fort à l’adresse des marchés

La nouvelle notation « BB avec perspective stable » envoie un signal à plusieurs niveaux. Pour les gestionnaires de portefeuilles obligataires, elle renforce l’argument en faveur d’une exposition accrue à la dette ivoirienne, jugée plus solide que celle d’autres signatures africaines de même catégorie ou inférieure.

Pour les investisseurs stratégiques intéressés par les secteurs pétrolier, gazier, minier, agricole ou industriel, elle crédibilise davantage le discours officiel sur la stabilité du cadre macroéconomique et la soutenabilité de l’endettement public.

Enfin, pour les institutions multilatérales et partenaires bilatéraux, elle confirme que la Côte d’Ivoire reste un emprunteur fiable, capable de maintenir une trajectoire de finances publiques cohérente malgré un agenda d’investissements lourds dans les infrastructures, l’énergie et les services sociaux.

La contrepartie : des attentes renforcées

Si le surclassement de Fitch est un motif de satisfaction pour Abidjan, il crée également un niveau d’attente plus élevé. Les marchés scruteront de près la capacité du pays à maintenir un rythme de croissance proche ou supérieur à 6 %, à poursuivre l’augmentation des recettes fiscales sans casser la dynamique du secteur privé, à contenir le déficit autour de 3 % du PIB et à gérer prudemment les nouveaux emprunts pour éviter tout surendettement lié à des projets peu productifs.

Dans un monde où les agences n’hésitent plus à sanctionner rapidement les dérives, comme l’illustrent les dégradations récentes de pays développés et émergents, la Côte d’Ivoire devra confirmer par les faits ce vote de confiance.

Pour l’heure, la décision de Fitch ancre un constat : la Côte d’Ivoire est en train de s’installer dans le haut du panier africain en matière de crédit souverain. Reste à savoir si ce statut sera le point de départ d’une marche vers l’Investment Grade, ou le plafond d’une trajectoire qui dépendra autant de la conjoncture mondiale que de la capacité du pays à poursuivre, sans relâche, ses réformes et sa diversification économique.

Patrick Tchounjo

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