Centrafrique : 168 milliards FCFA d’investissement de la BAD pour le port de Mongoumba, le pari du désenclavement par le fleuve

La République centrafricaine (RCA) tente de transformer une contrainte historique, l’enclavement en chantier structurant. Le 10 décembre, à Mongoumba (préfecture de la Lobaye), les autorités ont posé la première pierre d’un futur port fluvial présenté comme “moderne”, avec une enveloppe annoncée à 168 milliards FCFA, financée à 100% par le Groupe de la Banque africaine de développement (BAD).
Au-delà du symbole, l’infrastructure s’inscrit dans un projet d’intégration plus vaste : le corridor de développement CD13, pensé comme un axe multimodal reliant la RCA aux façades portuaires et aux marchés sous-régionaux via le Congo, avec une continuité vers le Tchad. L’objectif affiché est clair : réduire les coûts de transaction, sécuriser les délais, et remettre la logistique au cœur d’une stratégie de compétitivité.
Mongoumba, un port pour “casser” l’isolement logistique
Sur la carte économique centrafricaine, Mongoumba n’est pas un choix neutre. Située sur un axe fluvial de connexion vers le bassin du Congo, la localité concentre un enjeu que la RCA porte depuis des décennies : disposer d’alternatives crédibles au tout-routier, dans un pays où la chaîne logistique reste l’une des plus coûteuses et fragiles de la région.
La BAD résume l’ambition en termes d’effets attendus : densifier le trafic fluvial, abaisser les coûts logistiques et réduire les délais de transit, trois variables qui, dans une économie enclavée, conditionnent la compétitivité réelle du secteur privé (prix d’entrée des intrants, capacité d’export, régularité d’approvisionnement).
CD13 : la logique du corridor multimodal
Le port est présenté comme l’une des composantes d’un corridor plus large, adossé au projet de transport multimodal Pointe-Noire – Brazzaville – Bangui – N’Djamena (Phase 1), dont les documents de la BAD décrivent l’architecture et les modalités de financement. Dans ce schéma, le port fluvial n’est pas une infrastructure isolée : il est un nœud d’interface entre routes, plateformes logistiques et navigation fluviale.
L’enjeu est d’autant plus stratégique que la RCA cherche à diversifier ses débouchés vers les marchés régionaux, notamment via les deux Congo et, plus largement, les circuits commerciaux connectés aux grandes routes sous-régionales. Dans un contexte d’intégration encore inégale, le corridor CD13 est pensé comme un outil d’alignement : alignement des infrastructures, mais aussi des pratiques (sécurité, procédures, fluidité).
Un projet “100% BAD”… et une question de périmètre financier
Le chiffre de 168 milliards FCFA est au cœur de la communication autour de la pose de la première pierre, présenté comme un financement intégral par la BAD.
Mais un point mérite attention pour une lecture rigoureuse : certaines communications de place évoquent des montants plus faibles lorsqu’elles isolent la composante “port” dans un agrégat de projets plus large.
Deux lectures coexistent donc :
- soit 168 milliards FCFA correspondent au périmètre global de l’opération “port + aménagements connexes + intégration corridor” telle qu’annoncée lors du lancement ;
- soit ce montant agrège plusieurs volets du CD13 (routier, fluvial, dispositifs logistiques), tandis que le port stricto sensu ferait l’objet d’un chiffrage distinct dans d’autres documents.
Dans tous les cas, la grille de lecture la plus solide reste celle des documents contractuels et des dossiers de financement, la BAD ayant déjà publié des éléments liés au processus de passation de marché et au financement du projet de corridor multimodal.
Exécution : un groupement international, une supervision technique dédiée
Côté réalisation, le marché est attribué à un groupement SELIP SPA / ROWAD, avec une supervision technique annoncée par les cabinets SCET et LEGE Engineering. Dans un projet d’infrastructure lourde, cette architecture d’exécution est un marqueur important : elle conditionne le respect des standards, le pilotage des coûts et la maîtrise du calendrier, dans un environnement où les chantiers peuvent être ralentis par la logistique d’approvisionnement, les contraintes de site ou les risques sécuritaires.
Les autorités, de leur côté, insistent sur l’ancrage local : priorité à la main-d’œuvre locale et appropriation communautaire, afin que les retombées sociales soient perceptibles dès la phase de construction.
Pourquoi le fluvial redevient central dans l’ouverture économique de la RCA
La relance du transport fluvial répond à une logique simple : là où la route est coûteuse, vulnérable et parfois imprévisible, le fleuve peut redevenir un corridor régulier, à condition d’avoir des infrastructures adaptées (quais, stockage, manutention, contrôle, sécurité). Mongoumba est conçu comme une réponse à cette équation, avec l’ambition de rétablir une capacité de transit plus stable vers les voisins et, au-delà, vers les circuits régionaux.
Dans la doctrine économique du pays, le projet s’inscrit aussi dans le Plan national de développement (PND) 2024-2028, présenté comme la feuille de route des prochaines années, avec un accent mis sur la transformation structurelle, la mobilité et l’intégration économique.
Le vrai test : coûts logistiques, délais et sécurité des flux
L’expérience régionale montre qu’un port, même moderne, ne suffit pas à “faire corridor”. La performance logistique dépend d’un triptyque : infrastructures (port, routes d’accès, plateformes de stockage) ; procédures (fluidité administrative, contrôle, temps d’attente) ; sécurité des flux (prévisibilité, réduction des frictions, intégrité des chaînes de transport).
Si Mongoumba parvient à réduire concrètement les délais et les coûts, l’impact pourra dépasser la Lobaye : baisse du coût des intrants, amélioration de l’approvisionnement, meilleure compétitivité des entreprises, et regain d’attractivité pour les investissements productifs. À l’inverse, si les goulots d’étranglement persistent en aval (routes secondaires, manutention, procédures), l’infrastructure risque de sous-performer malgré son coût.
En posant la première pierre du port fluvial de Mongoumba, Bangui ouvre donc un chantier à la fois technique et économique : celui d’une RCA qui cherche à sortir de l’enclavement non par annonces, mais par la démonstration, sur le terrain, qu’un corridor multimodal peut réellement changer la donne.
Patrick Tchounjo



