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Cemac : la BEAC abaisse ses prévisions de réserves de change et durcit le ton

À Yaoundé, le signal est tombé au moment où la zone Cemac s’efforce de préserver ses équilibres externes sans casser la reprise. Réuni le 15 décembre 2025, le Comité de politique monétaire (CPM) de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) a revu à la baisse ses anticipations sur le niveau des réserves de change à la fin de l’année, confirmant que la gestion des devises redevient un sujet central de stabilité macrofinancière pour les six pays de l’union monétaire.

Selon les projections rendues publiques à l’issue de cette session, les réserves de change de la Cemac sont désormais attendues à 6 377,3 milliards FCFA au 31 décembre 2025, soit une baisse annuelle de 2,6%, avec une couverture de 4,2 mois d’importations de biens et services, contre 4,9 mois un an plus tôt. Derrière ces chiffres, c’est un indicateur qui parle directement aux banques, aux importateurs et aux investisseurs : le “matelas” de devises censé amortir les chocs extérieurs s’amincit, alors même que la demande de paiements internationaux reste robuste.

Cette révision tranche avec la tonalité plus confiante affichée quelques semaines plus tôt. Fin septembre, au sortir d’une autre séquence de politique monétaire, le gouverneur de la BEAC reconnaissait déjà un épisode de tension, évoquant un “trou” d’environ 1 000 milliards FCFA observé durant juillet et août 2025. L’image est restée : elle résume la vitesse à laquelle une trajectoire jugée “favorable” peut se dégrader quand plusieurs sorties de devises se synchronisent.

Un choc de liquidité extérieure qui rattrape la trajectoire “cible”

Le nerf de l’histoire, c’est la difficulté à stabiliser les réserves dans un contexte où l’économie régionale reste structurellement dépendante de paiements en devises, tandis que les entrées peuvent se révéler plus volatiles qu’anticipé. L’un des facteurs mis en avant dans l’écosystème institutionnel et par des observateurs proches des dossiers tient à la diminution des appuis budgétaires externes, dans un contexte de fin de programmes ou de transitions de programmes avec le FMI dans plusieurs pays. Quand ces décaissements se raréfient, l’effet est mécanique : l’offre de devises se contracte, au moment où la demande ne baisse pas forcément au même rythme.

À cela s’ajoute une réalité budgétaire et commerciale : le calendrier de service de la dette, la facture d’importations stratégiques et certains règlements publics peuvent concentrer, sur quelques semaines, des volumes importants de sorties. Or, dans une union monétaire à réserves mutualisées, ces à-coups ont tendance à devenir visibles très vite dans les indicateurs, même quand la tendance annuelle semblait mieux orientée.

Pour les banques commerciales, la traduction est immédiate. Chaque tension sur les réserves peut se répercuter sur la disponibilité de devises, sur la vitesse de traitement des paiements internationaux, et sur la perception du risque pays par les correspondants étrangers. Même lorsque les opérations continuent, la “prime d’incertitude” remonte : elle renchérit le coût du trade finance, pèse sur certaines lignes de crédit, et peut durcir les conditions de financement de l’économie réelle.

La réponse de la BEAC : restaurer le signal de discipline monétaire

Face à une trajectoire de réserves revue à la baisse, la banque centrale a un levier classique : le prix de la liquidité. Et la session de décembre 2025 a aussi été marquée par un ajustement de politique monétaire. Une décision publiée après la réunion du 15 décembre acte un relèvement des taux directeurs : le TIAO passe de 4,50% à 4,75% et la facilité de prêt marginal de 6,00% à 6,25%.

Dans la lecture orthodoxe, ce mouvement répond à plusieurs objectifs en même temps : contenir les tensions inflationnistes importées, éviter une surchauffe du crédit là où elle existe, et surtout protéger l’ancrage externe de la monnaie en réduisant, à la marge, la pression sur la demande de devises. Dans les faits, l’efficacité dépendra de la transmission : si le resserrement monétaire assainit la demande interne sans étouffer les secteurs productifs, il peut contribuer à stabiliser le besoin de paiements extérieurs. Mais si le choc provient surtout de facteurs budgétaires, de la structure des importations ou du cycle des matières premières, le taux ne fait pas tout.

Un test pour les politiques publiques… et pour l’écosystème bancaire

La séquence de fin 2025 remet au centre une question que la Cemac connaît bien : la stabilité extérieure ne se joue pas seulement à la banque centrale. Elle dépend de la discipline budgétaire, de la capacité à sécuriser des financements concessionnels, de la qualité de l’exécution des dépenses, mais aussi de la manière dont les économies diversifient leurs recettes d’exportation.

Pour le secteur bancaire, l’enjeu est double. D’un côté, la hausse des taux directeurs recompose les arbitrages sur la liquidité et peut renchérir le crédit, à un moment où les entreprises cherchent déjà à absorber des coûts élevés. De l’autre, la tension sur les réserves rappelle que l’activité bancaire en zone Cemac reste intimement liée aux équilibres externes : plus les devises se raréfient, plus l’intermédiation financière se retrouve exposée aux frictions du commerce international, aux délais de règlement et à la volatilité de la confiance.

En creux, la révision des prévisions de réserves est aussi un message politique : la période où l’on pouvait compter sur une accumulation “automatique” des devises, portée par des prix favorables ou des appuis externes réguliers, n’est jamais acquise. La Cemac entre ainsi dans une phase où la crédibilité des trajectoires annoncées se gagne moins par les communiqués que par la cohérence, mois après mois, des décisions budgétaires, des réformes et de la gestion des paiements externes.

À l’approche de 2026, l’attention du marché se portera sur un point précis : la capacité de la région à reconstituer un coussin de réserves sans multiplier les mesures qui freinent l’activité. La BEAC a donné un signal monétaire. Reste à voir si l’ensemble de la chaîne économique suivra, assez vite, pour éviter que l’épisode de l’été 2025 ne devienne une nouvelle norme.

Patrick Tchounjo

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