Marchés & Financements

Afrique francophone et au-delà : une nouvelle enveloppe de 75 M$ pour les projets d’infrastructures de l’AFC

L’Africa Finance Corporation (AFC) poursuit la diversification de ses sources de financement. L’institution panafricaine a annoncé le 25 novembre 2025 avoir sécurisé une ligne de crédit de 75 millions de dollars auprès de la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA). L’accord, signé en marge du B20 à Johannesburg entre le président de la BADEA, Abdullah Almusaibeeh, et le président-directeur général de l’AFC, Samaila Zubairu, vise à renforcer la capacité de la corporation à financer des infrastructures à fort impact sur le continent.

Cette enveloppe prend la forme d’un prêt à terme et s’inscrit dans une relation déjà structurée entre les deux institutions. La BADEA est en effet actionnaire de l’AFC depuis 2020 et avait déjà conclu un cadre de coopération pour cofinancer des projets dans les secteurs stratégiques.

Un nouvel étage dans la stratégie de financement d’AFC

Pour l’AFC, cette ligne de crédit s’ajoute à une séquence de transactions qui confirment la solidité de son accès au marché. L’institution a fait confirmer en 2025 sa notation A3 avec perspective stable par Moody’s, ce qui lui permet de se financer à des conditions proches de celles des grandes banques de développement internationales.

Dans le même temps, l’AFC a bouclé un prêt syndiqué record de 1,5 milliard de dollars, attirant un consortium de prêteurs du Moyen-Orient, d’Afrique, d’Asie et d’Europe, et a sécurisé un prêt de 100 millions de dollars auprès de FinDev Canada, son premier financement sur le marché canadien.

Dans ce contexte, les 75 millions de dollars de la BADEA peuvent sembler modestes en taille, mais ils sont stratégiques par leur nature. Ils renforcent la poche de ressources dédiées aux projets d’infrastructures dans des secteurs jugés critiques – énergie, transport, télécoms, industrie lourde, ressources naturelles – et, surtout, ils consolident le rôle de la BADEA comme actionnaire et partenaire de long terme d’AFC.

Un partenariat BADEA–AFC qui monte en puissance

La signature de cette ligne de crédit est l’aboutissement d’un rapprochement amorcé de longue date. En 2020, la BADEA est devenue le premier investisseur arabe à entrer au capital d’AFC, avec la volonté affichée de co-développer et cofinancer des projets dans les secteurs de l’énergie, du transport, des ressources naturelles, de l’industrie lourde et des télécommunications.

Ce mouvement s’inscrit dans la stratégie BADEA 2030, qui élargit le mandat historique de la banque – longtemps centré sur le financement du secteur public – vers le secteur privé, le commerce, les PME et les chaînes de valeur.

En finançant directement une institution comme l’AFC, la BADEA choisit un canal capable d’originer, structurer et exécuter des projets complexes, en s’appuyant sur un pipeline panafricain. L’AFC a investi plus de 17 milliards de dollars dans 47 pays membres depuis sa création en 2007, avec un modèle mêlant capital-investissement, dette de long terme et développement de projets.

Une enveloppe orientée vers les secteurs stratégiques

Selon le communiqué publié lors de la signature, les ressources de la ligne de crédit seront orientées vers des projets dans l’énergie, les transports et la logistique, les industries lourdes, les télécommunications et l’infrastructure numérique, ainsi que les mines et ressources naturelles.

Concrètement, cette enveloppe pourra alimenter plusieurs types d’opérations : centrales électriques conventionnelles ou renouvelables, corridors ferroviaires et routiers, plateformes logistiques, data centers, backbone numériques, parcs industriels, projets miniers adossés à une transformation locale. L’AFC ne finance généralement pas des “projets isolés”, mais des actifs intégrés dans des chaînes de valeur régionales, avec une logique de bancabilité et de syndication qui inclut banques commerciales, bailleurs de fonds et investisseurs privés.

Dans un environnement marqué par la hausse des taux mondiaux et un accès plus difficile aux capitaux de long terme, la ligne de crédit BADEA offre à l’AFC de la flexibilité pour structurer des financements adaptés aux besoins des États et des sponsors privés africains, en dollars, sur des maturités plus longues que ce que proposent les marchés bancaires classiques.

Un enjeu majeur pour l’Afrique francophone

Même si la ligne de crédit est continentale, son effet sera particulièrement scruté en Afrique francophone, là où de nombreux pays sont membres de l’AFC et clients historiques de la BADEA. Les besoins y sont massifs dans les secteurs ciblés : déficit de production électrique dans plusieurs pays de l’UEMOA et de la CEMAC, congestion des corridors routiers et portuaires, retard dans le déploiement de la fibre et des infrastructures numériques, sous-valorisation des ressources minières faute d’infrastructures de transformation.

Pour les États et les banques de la région, le couple BADEA–AFC présente un intérêt particulier. La BADEA apporte des ressources concessionnelles ou quasi-concessionnelles et une capacité à mobiliser des capitaux du monde arabe. L’AFC, elle, apporte une expertise technique et financière, une capacité de structuration sophistiquée et un bilan noté en catégorie investissement par Moody’s, qui lui permet de lever des montants significatifs sur les marchés internationaux.

Ce type de partenariat peut servir à de grands projets structurants qui nécessitent un effet de levier important : parcs solaires et éoliens en Afrique de l’Ouest, modernisation portuaire dans le Golfe de Guinée, plateformes industrielles intégrées, projets d’interconnexion électrique ou de backbone régional de fibre optique.

Vers une architecture de financement plus intégrée

Au-delà des montants, cette ligne de crédit illustre l’évolution de l’architecture de financement du développement en Afrique. Plutôt qu’une approche fragmentée où chaque banque de développement finance ses propres projets, on voit émerger des coalitions d’institutions financières multilatérales autour d’opérateurs spécialisés comme l’AFC, capables d’absorber du capital et de le déployer dans des infrastructures complexes.

Pour l’AFC, l’accord avec la BADEA renforce une stratégie déjà visible dans ses récentes opérations : élargir sa base d’investisseurs au-delà des partenaires traditionnels, en mobilisant des institutions d’Amérique du Nord, du Moyen-Orient, d’Europe et d’Asie, tout en consolidant l’appui des actionnaires africains. Pour la BADEA, cette ligne de crédit est une manière concrète de démontrer sa capacité à réinventer ses instruments en direction du secteur privé, en finançant non seulement des États, mais aussi des intermédiaires financiers capables de catalyser des capitaux supplémentaires.

Dans un contexte où le coût du capital pèse lourdement sur les trajectoires de croissance africaine, surtout en Afrique francophone, la combinaison d’une banque arabe de développement bien notée et d’une institution africaine comme l’AFC constitue un signal important. La ligne de crédit de 75 millions de dollars ne résoudra pas à elle seule l’équation du financement des infrastructures, mais elle s’ajoute à une série d’opérations qui contribuent à bâtir, pierre après pierre, un écosystème de financement plus profond, plus diversifié et plus intégré au service des projets structurants du continent.

Patrick Tchounjo

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