Afrique : Yvon Sana Bangui prend la tête des banques centrales et relance le projet de monnaie unique

L’Afrique francophone monétaire gagne en influence dans le débat continental. Au terme d’une semaine de travaux tenus à Yaoundé, réunissant les représentants de 41 banques centrales africaines, le gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC), Yvon Sana Bangui, a été élu président de l’Association des Banques Centrales Africaines (ABCA).
Cette désignation intervient à un moment charnière pour le continent, pris en étau entre instabilité géopolitique, pressions inflationnistes persistantes, montée de la dette publique et accélération de la digitalisation financière. En plaçant son mandat sous le signe de l’opérationnalisation de l’Institut Monétaire Africain (IMA), le patron de la BEAC se positionne sur l’un des dossiers les plus sensibles : la marche vers une future Union monétaire africaine.
L’ABCA, laboratoire monétaire de l’Afrique
Créée pour favoriser la coopération et l’harmonisation entre autorités monétaires du continent, l’ABCA est devenue, au fil des décennies, le principal laboratoire d’idées en matière de convergence monétaire, stabilité financière et intégration des systèmes de paiement africains.
La 47ᵉ réunion annuelle tenue à Yaoundé a confirmé cette vocation. Selon le rapport final, les discussions techniques ont porté sur plusieurs sujets structurants : intégration des systèmes de paiement, renforcement du Programme de Coopération Monétaire en Afrique (PCMA), montée en puissance du Comité africain de stabilité financière (CASF), et réformes de gouvernance de l’Association.
C’est dans ce contexte qu’intervient l’élection d’Yvon Sana Bangui. Elle consacre un gouverneur issu d’un espace monétaire (la Cemac) souvent critiqué, mais qui demeure l’un des rares ensembles africains à disposer d’une banque centrale régionale pleinement opérationnelle, d’une monnaie commune et d’une politique monétaire intégrée.
L’Institut Monétaire Africain au cœur du mandat
Lors de son premier point presse, le nouveau président de l’ABCA a annoncé la couleur : son mandat sera centré sur la mise en route concrète de l’Institut Monétaire Africain, projet lancé il y a près de vingt ans par l’Union africaine.
L’IMA est conçu comme l’antichambre de la Banque Centrale Africaine. Sa mission doit couvrir un large spectre : mener des études macroéconomiques, statistiques et juridiques, suivre les critères de convergence, coordonner les politiques monétaires et préparer, à terme, l’émission d’une monnaie unique ou d’instruments monétaires harmonisés.
En rappelant que « nous sommes 41 banques centrales : si nous marchons ensemble, nous atteindrons l’objectif », Yvon Sana Bangui renvoie à l’un des nœuds du dossier : la capacité des différents blocs monétaires africains – zones CFA, UEMOA, Cemac, pays à monnaie nationale, unions régionales émergentes – à dépasser leurs logiques internes pour faire converger leurs cadres macroéconomiques.
Stabilité financière, inflation et transformation structurelle
Le thème choisi pour les travaux de Yaoundé “Stabilité financière, intégration monétaire et transformation structurelle des économies africaines” résume bien l’équation à résoudre. Les banques centrales africaines doivent simultanément :
stabiliser des économies exposées à des chocs externes multiples,
accompagner des États pris dans une dynamique d’endettement croissant,
et soutenir la transformation structurelle (industrialisation, financement des infrastructures, digitalisation).
Dans ce contexte, l’intégration monétaire ne peut plus être pensée comme un simple horizon politique. Elle devient un levier d’optimisation : mutualisation de la gestion des réserves, renforcement de la crédibilité monétaire, approfondissement des marchés financiers régionaux et réduction des coûts de transaction au sein des blocs commerciaux africains.
Mais la marche est haute. La diversité des régimes de change, des niveaux d’inflation, des cadres budgétaires et des structures productives complique la convergence. L’IMA est précisément censé fournir le cadre analytique et institutionnel pour transformer des objectifs politiques en trajectoires techniques réalistes.
Un gouverneur de la BEAC à la manœuvre : symbole et enjeux
L’élection d’un gouverneur issu de la BEAC n’est pas neutre. La zone Cemac, longtemps perçue comme verrouillée par un arrimage fixe au franc CFA et une architecture monétaire héritée de l’histoire, se retrouve ainsi au centre d’une réflexion africaine plus large sur la souveraineté monétaire, le rôle des banques centrales et l’avenir des unions monétaires.
Pour Yvon Sana Bangui, le défi sera double. Sur le plan interne, il doit poursuivre la stabilisation d’une sous-région confrontée à la dépendance aux matières premières, aux tensions sécuritaires et à la nécessité de moderniser ses systèmes de paiement et son marché financier. Sur le plan continental, il lui revient de favoriser un consensus entre des banques centrales qui ne partagent ni les mêmes régimes de change, ni les mêmes marges de manœuvre, ni les mêmes priorités politiques.
Sa présidence de l’ABCA sera donc observée à la loupe, tant par les capitales africaines que par les partenaires internationaux, soucieux de mesurer le sérieux du projet de Banque Centrale Africaine au-delà des déclarations politiques.
Gouvernance renforcée et résilience financière
Les travaux de Yaoundé n’ont pas uniquement porté sur l’IMA. Les membres de l’ABCA ont aussi examiné des modifications statutaires destinées à renforcer la gouvernance, l’indépendance opérationnelle et la résilience financière de l’Association elle-même.
Dans un contexte marqué par les crises bancaires, les tensions de liquidité, la montée des risques cyber et la pression pour intégrer la finance climatique dans les mandats, les banques centrales africaines sont contraintes de se réinventer. Le Comité africain de stabilité financière (CASF) apparaît, à ce titre, comme un outil naissant mais stratégique pour analyser les vulnérabilités systémiques et coordonner les réponses.
L’ABCA, sous présidence d’Yvon Sana Bangui, devra montrer qu’elle est capable de passer d’un rôle de forum de discussion à celui de plateforme de coordination opérationnelle, capable d’influencer les cadres prudentiels, d’encourager l’harmonisation des normes et de peser dans les discussions internationales.
De la déclaration d’intention à la mise en œuvre
Comme souvent sur le continent, le juge de paix sera la capacité à traduire les engagements pris à Yaoundé en décisions concrètes. L’opérationnalisation de l’IMA suppose des choix budgétaires, la mise à disposition de compétences techniques de haut niveau, l’adoption de statuts robustes et l’acceptation, par les États, de mécanismes de surveillance multilatérale plus contraignants.
Si cette dynamique se confirme, l’élection d’Yvon Sana Bangui pourrait marquer une étape significative dans la réécriture de la géographie monétaire africaine et dans la montée en puissance de l’Afrique francophone dans les débats macro-financiers continentaux. Dans le cas contraire, l’IMA et l’Union monétaire africaine resteraient à l’état de promesses lointaines, dans un environnement où les urgences, inflation, dette, croissance faible exigent déjà des réponses immédiates.
Patrick Tchounjo



