BCEAO–FMI : un tête-à-tête stratégique pour arrimer l’UEMOA à la reprise africaine

En marge des Assemblées annuelles 2025, le Gouverneur de la BCEAO, Jean-Claude Kassi Brou, a eu un entretien bilatéral le vendredi 17 octobre 2025 avec Abebe Aemro Selassie, Directeur du Département Afrique du FMI. La rencontre s’inscrit dans la tradition de concertation régulière entre la banque centrale de l’UEMOA et l’institution financière internationale, avec pour horizon la stabilité macrofinancière et un financement soutenable de la croissance dans l’Union.
Le contexte macroéconomique régional donne la mesure des enjeux. La croissance en Afrique subsaharienne est attendue en amélioration en 2025, portée par les efforts de stabilisation et des réformes dans plusieurs économies, mais freinée par un environnement extérieur moins porteur et des conditions financières plus serrées. Cette toile de fond replace la discussion BCEAO–FMI dans un débat cardinal : comment consolider le reflux de l’inflation, préserver les réserves extérieures et soutenir le crédit sans rallumer les pressions sur les prix.
Pour l’UEMOA, les signaux conjoncturels demeurent mieux orientés que la moyenne régionale. La trajectoire de croissance reste robuste après la résilience observée en 2024, même si la dynamique varie d’un trimestre à l’autre. Cette tendance rend d’autant plus cruciale l’optimisation de l’intermédiation bancaire et des politiques de financement des États dans un cadre de discipline budgétaire crédible.
Au cœur du dialogue se trouvent la normalisation monétaire et la coordination des politiques. La BCEAO a engagé depuis 2022 un cycle de resserrement prudent afin de juguler la poussée inflationniste post-pandémie et post-chocs géopolitiques. La question n’est plus de savoir s’il faut maintenir une posture restrictive, mais à quel rythme l’ajuster pour ancrer les anticipations tout en évitant un freinage excessif du crédit au secteur privé. L’équilibre se joue entre une politique monétaire encore vigilante et une gestion active de la liquidité bancaire, dans un cadre où la transmission des taux dépend des marchés de titres publics et des infrastructures de paiement.
La soutenabilité de la dette publique et l’accès au financement figurent également parmi les priorités. Dans l’Union, la reprise des émissions sur les marchés régionaux doit composer avec des fenêtres plus volatiles et des besoins bruts de financement élevés. La BCEAO soutient la profondeur du marché par un calendrier régulier d’adjudications et des réformes d’infrastructures qui réduisent les coûts de transaction, tandis que le FMI promeut une gestion proactive des risques de refinancement et l’allongement des maturités. La coordination sur ces sujets est déterminante pour limiter l’éviction du crédit privé et éviter une surenchère de rendements dans un contexte de normalisation mondiale.
La stabilité externe et l’ancrage du franc CFA demeurent des piliers. La reconstitution des réserves de change, la gestion fine des flux de capitaux et la crédibilité de l’ancrage nominal sont des prérequis pour une désinflation durable. Pour la zone UEMOA, l’amélioration progressive des soldes courants, combinée à de meilleures récoltes et à la détente de certains cours de matières premières, contribue à modérer les pressions sur les prix. Les deux institutions convergent sur la nécessité de consolider le cadre de politique monétaire, d’améliorer la transmission à travers des marchés monétaires plus profonds et de renforcer la résilience face aux chocs de termes de l’échange.
La finance digitale et l’efficacité des systèmes de paiement s’imposent désormais comme accélérateurs de productivité et d’inclusion. L’Union a franchi des étapes notables en matière d’interopérabilité et d’instantanéité des paiements. L’enjeu est d’aligner cette accélération avec la supervision prudentielle, la cybersécurité, la protection des consommateurs et la lutte contre le blanchiment, afin de transformer un gain d’usage en gain macroéconomique tangible.
Les programmes appuyés par le FMI dans plusieurs pays de l’Union constituent un autre fil conducteur. L’efficacité des cadres de financement et d’ajustement exige une synchronisation étroite avec la politique monétaire commune, notamment sur la trajectoire d’inflation, la valorisation des titres publics détenus par les banques et la reconstitution des marges de manœuvre budgétaires. Les entretiens bilatéraux servent à harmoniser diagnostics et séquençage des réformes, en veillant à la cohérence d’ensemble entre objectifs nationaux et contraintes de l’union monétaire.
Au-delà de la conjoncture, trois chantiers structurants dominent l’agenda. D’abord, l’amélioration des recettes domestiques et de la qualité de la dépense publique pour créer l’espace budgétaire indispensable aux investissements productifs et à la transition énergétique. Ensuite, la montée en gamme des marchés financiers régionaux, avec davantage de profondeur, une base d’investisseurs élargie et une meilleure transparence des risques. Enfin, l’accélération des réformes qui fluidifient le commerce intra-UEMOA, renforcent la concurrence et abaissent les coûts logistiques qui alimentent encore l’inflation de fond.
La portée de l’entretien du 17 octobre se mesure moins à un communiqué qu’à la cohérence qu’il confère à l’architecture de stabilisation en UEMOA. Dans un cycle où la croissance mondiale ralentit, où les primes de risque demeurent sensibles et où la lutte contre l’inflation n’est pas achevée, la relation de travail entre la BCEAO et le FMI reste un actif stratégique pour l’Union. Elle offre un cadre pour articuler la normalisation monétaire, la discipline budgétaire, la modernisation des paiements et la soutenabilité de la dette, avec pour boussole la résilience et l’emploi. C’est sur ce terrain qu’il faudra juger, dans les prochains mois, la traduction opérationnelle des échanges de Washington.
Patrick Tchounjo



