Caisse des dépôts contre banques locales : la COBAC alerte sur un risque systémique au Cameroun

COBAC alerte sur un risque de crise bancaire au Cameroun
La tension entre la Caisse des dépôts et consignations du Cameroun (CDEC) et les instances régionales de régulation bancaire vient de franchir un nouveau seuil. Dans une lettre officielle datée du 22 octobre 2025, le Secrétaire général de la Commission bancaire de l’Afrique centrale (COBAC) alerte le ministre camerounais des Finances, Louis Paul Motaze, sur les « risques élevés de crise sur le système bancaire camerounais » engendrés par les actions judiciaires agressives de la CDEC. En clair, le régulateur communautaire appelle les autorités de Yaoundé à stopper l’offensive de la CDEC contre les banques locales, qu’il juge dangereuse pour la stabilité financière du pays.
Cette mise en garde de la COBAC fait suite à un signalement alarmant de l’Association professionnelle des établissements de crédit du Cameroun (APECCAM). Dans une correspondance du 6 octobre 2025, la présidente de l’APECCAM dénonçait un « risque élevé de crise » lié aux méthodes musclées employées par la CDEC. Selon cette lettre, le consignataire public a multiplié les plaintes pour « détournement de fonds publics » visant des dirigeants de banques, a procédé à des saisies conservatoires de plusieurs milliards de FCFA (via des avis à tiers détenteur), et a même adressé des courriers de menace aux maisons mères de banques internationales opérant au Cameroun. Autant d’initiatives qui ont mis en ébullition le secteur bancaire local ces derniers mois.
Des règles communautaires déjà en vigueur sur les avoirs dormants
Ironiquement, cette offensive juridique de la CDEC intervient alors qu’une nouvelle réglementation commune encadre déjà, depuis peu, le traitement des dépôts bancaires dormants au niveau régional. La COBAC souligne en effet que les démarches de la CDEC s’inscrivent dans sa volonté d’obtenir le transfert des avoirs en déshérence issus de comptes bancaires inactifs, qu’elle estime lui revenir en vertu du droit national. Cependant, le régulateur communautaire juge ces initiatives inopportunes, rappelant que le cadre juridique sur cette question a été harmonisé à l’échelle de la CEMAC depuis le 1er septembre 2025.
Face aux inquiétudes croissantes du public et à la cacophonie des législations nationales en la matière, la COBAC avait entrepris d’élaborer une réglementation communautaire uniforme sur les comptes inactifs et les entités de type « Caisse des dépôts et consignations » dans la zone CEMAC. Ce processus, accéléré en 2024, a abouti le 12 juillet 2025 à l’adoption unanime par le Comité ministériel de l’Union monétaire de l’Afrique centrale (UMAC) de deux règlements majeurs : le règlement n° 01/25/CEMAC/UMAC/COBAC relatif aux conditions d’exercice et à la supervision des CDC, et le règlement n° 02/25/CEMAC/UMAC/COBAC portant sur le traitement des comptes inactifs et des avoirs en déshérence. Conformément à l’article 41 du Traité de la CEMAC, ces textes sont d’application directe dans tous les États membres depuis leur entrée en vigueur le 1er septembre 2025.
Le nouveau dispositif impose des obligations claires aux banques. Désormais, tout compte bancaire inactif depuis au moins 10 ans doit faire l’objet d’un transfert de ses soldes vers la Caisse des dépôts et consignations du pays concerné (ou à défaut vers la Banque centrale locale), après diverses diligences de recherche des titulaires. Pour tenir compte de l’existence de lois nationales antérieures et éviter de déstabiliser les finances des CDC déjà opérationnelles, une clause transitoire (article 26 du règlement) prévoit que les comptes dormant depuis 10 ans ou plus à la date d’entrée en vigueur du règlement doivent être transférés à la Caisse des dépôts nationale sans délai. Autrement dit, le cadre communautaire offre désormais une feuille de route commune pour récupérer ces dépôts oubliés, tout en ménageant les équilibres financiers.
La COBAC ne s’est pas contentée de légiférer : elle a pris des mesures concrètes pour accompagner la mise en œuvre. Dès le 21 mai 2025, une circulaire du Secrétariat général de la COBAC a demandé aux banques de communiquer le volume des avoirs destinés à être transférés aux Caisses des dépôts nationales ou aux agences nationales de la BEAC. Face à l’inertie de certains établissements, des astreintes financières ont même été infligées à partir de juillet 2025 afin de les contraindre à fournir ces informations. « Les diligences visant à accompagner les établissements […] sont en cours de finalisation », précise la COBAC dans sa lettre, se voulant rassurante sur le fait qu’un processus méthodique était déjà en place pour traiter ces fonds dormants.
La COBAC fustige les poursuites de la CDEC et demande leur arrêt
Compte tenu de ce nouveau dispositif unifié, la COBAC se dit abasourdie de voir la CDEC continuer ses offensives judiciaires comme si de rien n’était. Dans sa correspondance au ministre camerounais des Finances, le régulateur régional juge « incompréhensible que la CDEC s’évertue à engager des poursuites à l’encontre des établissements de crédit, de microfinance et de paiement du Cameroun, en dépit des mesures réglementaires et opérationnelles susmentionnées ». Il s’indigne que certaines de ces procédures s’effectuent « en violation des textes en vigueur », ce qui constitue à ses yeux un sérieux problème de gouvernance. De telles actions, martèle la COBAC, s’opposent « à l’esprit et à la lettre » des décisions du Comité ministériel de l’UMAC, entravant de fait l’application harmonieuse des règles communes.
Concrètement, la COBAC en appelle à une intervention directe de l’État camerounais. « Je sollicite votre intervention, en qualité d’autorité monétaire nationale et autorité de tutelle de la CDEC, afin que ses dirigeants soient invités à mettre fin aux poursuites et actions en cours », écrit le régulateur dans sa lettre adressée au ministre Motaze. Autrement dit, il est demandé à Yaoundé de rappeler à l’ordre sa Caisse des dépôts et de faire cesser immédiatement les procédures judiciaires et saisies engagées contre les banques.
Par ailleurs, le courrier de la COBAC signale un second motif d’inquiétude lié aux agissements de la CDEC. L’organisme camerounais aurait récemment imposé de nouvelles exigences en matière de cautionnement dans les marchés publics, que la COBAC considère comme « non conformes aux dispositions législatives » et « susceptibles de créer des tensions de trésorerie dans les banques ». En d’autres termes, aux yeux du régulateur, la CDEC outrepasse son périmètre d’action et agit en marge des bonnes pratiques, ce qui met potentiellement en péril la liquidité et la stabilité financière du secteur bancaire camerounais. La COBAC estime donc urgent que la tutelle recadre cette institution nationale pour la ramener dans le cadre réglementaire fixé à l’échelle de la CEMAC. Elle note au passage que les sorties médiatiques tapageuses de la CDEC – régulièrement portées à son attention – n’arrangent rien, pas plus qu’elles ne contribuent à maintenir la confiance du public dans le système bancaire du Cameroun.
Un bras de fer entre souveraineté nationale et discipline régionale
Le différend actuel s’inscrit dans un contexte de frictions persistantes entre la CDEC, appuyée par certaines autorités camerounaises, et les régulateurs communautaires. Ce bras de fer institutionnel autour des dépôts en déshérence ne date pas d’hier. Dès 2024, la mise en place de la CDEC – créée en 2019 dans le but de financer le développement par la mobilisation de l’épargne dormante – a suscité des tiraillements entre Yaoundé et Libreville (siège de la COBAC).
Initialement, le gouvernement camerounais a adopté une position souverainiste ferme concernant ces fonds. Dans une lettre du 7 juin 2024, le ministre des Finances avait instruit sans ambiguïté les banques de procéder au transfert des dépôts dormants à la CDEC, en précisant les comptes inactifs visés (comptes courants inactifs depuis plus de 6 ans et comptes d’épargne inactifs depuis plus de 8 ans). Cette directive nationale faisait suite à un décret du 1er décembre 2023 qui fixait au 31 mai 2024 la date butoir pour ces transferts. Déterminé à faire aboutir ce « choix stratégique » du Cameroun, le ministère des Finances assurait alors la CDEC de son soutien face aux réticences de certaines banques, selon des sources proches du dossier. Dans la même veine, la présidence de la République, par la voix du Secrétaire général Ferdinand Ngoh Ngoh, est intervenue le 1er août 2024 pour défendre la primauté du droit camerounais : une correspondance officielle a même demandé au ministère des Finances d’« inviter la COBAC à rapporter sa lettre circulaire du 11 juillet 2024 pour absence de fondement juridique ». Le ton était donné côté Yaoundé : la CDEC était considérée comme une institution purement nationale, créée sur hautes directives du Président Paul Biya, et non soumise aux règles communautaires.
Or, la COBAC n’était pas restée inactive face à la volonté de l’État camerounais d’aller vite. Dès juillet 2024, elle avait sursis aux transferts des avoirs en déshérence vers la CDEC, exigeant des clarifications préalables sur le cadre de gestion de ces fonds. En clair, le régulateur sous-régional avait temporisé le processus, le temps d’établir des garanties réglementaires communes. Cette intervention de la COBAC – perçue à Yaoundé comme une ingérence – a envenimé la relation, chaque partie campant sur ses positions jusqu’à ce que la CEMAC s’engage sur la voie d’une harmonisation formelle en 2025.
Depuis, le rapport de force semble évoluer à mesure que la réglementation communautaire se met en place. En août 2025, paradoxalement, c’est le ministre camerounais des Finances lui-même qui a dû recadrer la CDEC sur son fonctionnement. Dans une lettre du 6 août 2025 adressée au directeur général de la CDEC, Richard Evina Obam, Louis Paul Motaze a rappelé l’établissement à l’ordre sur plusieurs points de désaccord, notamment la nécessité de se soumettre à la supervision de la COBAC, la gestion des avoirs en déshérence et le respect des règles prudentielles sur les cautions de garantie. Il s’est dit surpris que la CDEC cherche à s’affranchir du contrôle régional en invoquant des exceptions, tout en omettant que dans des pays modèles comme la France ou le Maroc, les Caisses des dépôts sont bel et bien placées sous la surveillance étroite des autorités prudentielles compétentes. Le ministre – rappelant son devoir de prévenir tout risque pour la stabilité du système financier national – a souligné qu’une supervision n’« [a] devrait gêner personne, si toute l’activité est gérée convenablement », pointant qu’au contraire l’absence de contrôle peut conduire à des dérives coûteuses (il a cité en exemple le scandale LYEPLIMAL de cryptomonnaie dans la sous-région). Cette prise de position sans équivoque de la tutelle marquait un tournant, suggérant que Yaoundé reconnaissait la pertinence du cadre commun pour éviter une crise.
Aujourd’hui, les banques camerounaises se retrouvent au milieu du gué, tiraillées entre les injonctions du régulateur régional et les actions unilatérales d’une institution nationale qui peine à intégrer les nouvelles règles du jeu. Cette confrontation met en lumière les défis de la gouvernance financière en Afrique centrale, où la logique d’intégration communautaire doit composer avec les réflexes de souveraineté nationale. L’issue de ce bras de fer réglementaire sera déterminante pour l’avenir du secteur bancaire camerounais et la crédibilité de la discipline communautaire au sein de la CEMAC. En attendant, la COBAC a clairement haussé le ton et attend une réaction de la part des autorités camerounaises. Toute la question est désormais de savoir si Yaoundé répondra à cet appel pour rentrer dans le rang communautaire, afin de préserver la stabilité de son système bancaire mis à rude épreuve.
Patrick Tchounjo



