Cameroun : les bénéfices des banques franchissent 200 milliards FCFA, un record en Cemac

Le secteur bancaire camerounais s’impose plus que jamais comme le centre de gravité de la finance en Afrique centrale. Selon le rapport 2024 de la Commission bancaire de l’Afrique centrale (Cobac), le bénéfice net cumulé des établissements de crédit en activité au Cameroun a atteint 208,5 milliards FCFA en 2024, soit une hausse de 23 milliards FCFA en un an.
Pour la première fois, les bénéfices des banques franchissent la barre symbolique des 200 milliards FCFA, confirmant une trajectoire de croissance impressionnante : en 2020, ces profits ne s’élevaient qu’à 81,8 milliards FCFA. En cinq ans, la hausse atteint ainsi 254 %. À lui seul, le Cameroun représente 46 % du bénéfice global réalisé par les banques de la Cemac (Cameroun, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, Tchad, RCA).
Un secteur bancaire de plus en plus profitable en Cemac
Cette montée en puissance s’inscrit dans un mouvement de fond : depuis la sortie de la crise liée au Covid-19, l’activité bancaire au Cameroun retrouve une dynamique soutenue, portée par la reprise de la croissance, la normalisation progressive des risques et une meilleure optimisation des bilans.
La performance camerounaise tranche avec certains voisins de la sous-région où la croissance des bénéfices reste plus modérée, voire heurtée par des contextes économiques et budgétaires plus fragiles. En concentrant près de la moitié des profits bancaires de la Cemac, le Cameroun confirme son rôle de marché pivot, à la fois par la taille de son économie, la densité de son réseau bancaire et le poids de son secteur privé.
Cette rentabilité accrue intervient après une période 2020-2021 marquée par la prudence : provisions renforcées, ralentissement du crédit, incertitudes sur la qualité des portefeuilles. Le rebond des bénéfices traduit donc autant un effet de reprise qu’un ajustement structurel des modèles économiques.
Un réseau bancaire densifié, moteur de la croissance des profits
L’une des clés de cette progression tient à la densification du réseau bancaire. Entre 2020 et 2024, le nombre de banques opérant dans le pays est passé de 15 à 19, signe d’un marché suffisamment attractif pour attirer de nouvelles enseignes, qu’elles soient panafricaines, internationales ou à capitaux locaux.
Cette recomposition s’est accompagnée d’un maillage plus fin du territoire. D’après le Conseil national économique et financier du Cameroun et l’Association professionnelle des établissements de crédit (Apeccam), le réseau s’est enrichi de 22 nouvelles agences en 2021, faisant passer le nombre de points de vente de 328 en 2020 à 353 en 2021, puis à 389 agences en 2022.
Cette expansion a eu plusieurs effets cumulatifs. Elle a amélioré la collecte des dépôts, grâce à une plus grande proximité avec les ménages et les entreprises. Elle a également entraîné une progression des encours de crédits, notamment auprès des particuliers et des PME, et une augmentation du volume des opérations de caisse, de transferts et de services connexes. En élargissant la base de clientèle et la profondeur de l’intermédiation, le réseau densifié a mécaniquement alimenté la croissance du produit net bancaire, puis des bénéfices.
Numérisation et marges en hausse : le deuxième étage de la fusée
Au-delà des agences physiques, la numérisation accélérée des services bancaires a considérablement renforcé les marges. La généralisation des cartes, le développement de la banque en ligne, des applications mobiles, l’interfaçage avec les wallets de mobile money et la montée en puissance de la monétique marchande ont profondément modernisé l’écosystème.
Selon le rapport 2024 de la Cobac, les banques en activité au Cameroun ont vu leurs marges progresser sur presque toutes les catégories d’opérations. Seule exception, l’activité de crédit-bail, en léger repli. En revanche, les marges liées aux opérations de trésorerie et interbancaires, aux opérations avec la clientèle et aux activités financières ont toutes augmenté de manière significative.
La montée en charge des canaux digitaux a permis d’accroître les volumes sans augmenter les coûts dans les mêmes proportions. Les commissions perçues sur les paiements, retraits, virements, frais de tenue de compte et autres services connexes ont contribué à élargir les marges, dans un contexte où les banques ont par ailleurs maintenu une discipline certaine sur leurs charges d’exploitation.
Un modèle rentable, mais sous questionnement
Cette rentabilité record ne manquera pas d’alimenter plusieurs débats. Pour les régulateurs et les pouvoirs publics, elle confirme la solidité du système bancaire camerounais, un atout pour financer l’économie réelle, absorber les chocs et attirer des capitaux.
Pour une partie de l’opinion publique et certains acteurs économiques, elle pose en revanche la question du coût de l’intermédiation : niveau des taux débiteurs, frais bancaires, sélectivité du crédit, soutien réel aux PME et à l’économie productive. Dans une économie où une large fraction de la population reste encore exclue des services financiers formels, la hausse des bénéfices peut être perçue comme un indicateur de performance, mais aussi comme un révélateur de marges parfois jugées élevées.
La Cobac, de son côté, surveille de près la qualité des actifs, les niveaux de concentration des risques et les pratiques de gouvernance. Un secteur très rentable n’est pas nécessairement à l’abri de défaillances individuelles. La montée en puissance des bénéfices doit s’accompagner d’investissements dans les systèmes d’information, la conformité, la gestion des risques et la transparence vis-à-vis des clients.
Vers une nouvelle phase pour le secteur bancaire camerounais ?
Avec plus de 200 milliards FCFA de bénéfices cumulés en 2024 et une hausse de 254 % en cinq ans, les banques camerounaises abordent une nouvelle phase. Elles disposent désormais de marges de manœuvre renforcées pour investir dans la transformation digitale, élargir leurs produits vers l’assurance, la gestion d’actifs ou le financement spécialisé, et soutenir davantage les secteurs porteurs comme l’agro-industrie, l’énergie, les télécoms, les infrastructures ou les PME innovantes.
La question centrale sera de savoir si cette rentabilité hors normes se traduira par une véritable démocratisation de l’accès au crédit et une baisse progressive du coût des services pour les ménages et les entreprises, ou si elle restera concentrée sur quelques segments de clientèle solvable et sur les opérations les plus rémunératrices.
Dans tous les cas, le message envoyé par les chiffres de la Cobac est clair : le secteur bancaire camerounais est devenu, en 2024, la véritable locomotive financière de la Cemac. Reste à transformer cette puissance de feu en un levier plus visible pour la croissance inclusive et la transformation structurelle de l’économie.
Patrick Tchounjo



