Cameroun : les impayés de l’État fragilisent la liquidité des banques et fournisseurs

Les tensions de trésorerie persistent au Cameroun. À la fin septembre 2025, le Trésor public camerounais affichait 171,3 milliards de FCFA de factures impayées aux fournisseurs de biens et services de l’État, selon la note de conjoncture sur la dette publique publiée par la Caisse autonome d’amortissement (CAA). Ce montant correspond aux Reste-à-payer (RAP), c’est-à-dire aux créances reconnues par l’État mais non encore réglées, généralement depuis plus de trois mois.
Ces impayés concernent un ensemble de dépenses publiques, allant de la fourniture de biens et services à la dette intérieure, en passant par les fonds de contrepartie, les subventions, les transferts et les charges de personnel. Leur accumulation illustre la pression croissante sur la trésorerie publique dans un contexte budgétaire marqué par la lente exécution des paiements et la contrainte d’un encadrement strict des dépenses.
Un stock de dettes intérieures qui se stabilise, mais reste préoccupant
D’après la CAA, l’encours total des RAP cumulés par le Trésor public atteignait 485,4 milliards de FCFA à fin septembre 2025, un niveau qualifié de “stable”, mais qui demeure symptomatique d’une tension chronique de liquidité. Cette stabilité apparente masque toutefois une persistance du phénomène : les retards de paiement continuent d’affecter la chaîne d’exécution budgétaire et le climat de confiance entre l’État et ses prestataires.
Sur les 171,3 milliards de FCFA de factures impayées liées aux biens et services, 99 milliards concernent des créances datant de plus de trois mois, tandis que 72,3 milliards sont en instance depuis moins de trois mois. Cette répartition montre que près de 60 % des fournisseurs attendent leur paiement au-delà des délais contractuels, un signe tangible des difficultés rencontrées par le Trésor pour honorer ses engagements dans les temps impartis.
Les “autres transferts” – une catégorie regroupant diverses subventions, allocations et aides publiques – enregistrent également un niveau élevé de factures non réglées, estimé à 176,7 milliards de FCFA, dont 132 milliards dépassent trois mois d’ancienneté.
Des tensions de trésorerie persistantes dans un contexte de rigueur budgétaire
L’accumulation des Reste-à-payer traduit la pression budgétaire à laquelle est confronté l’État camerounais. Les contraintes de trésorerie découlent principalement d’un décalage entre les prévisions et la mobilisation effective des recettes fiscales et non fiscales.
Malgré une progression des recettes fiscales à près de 998 milliards FCFA au premier trimestre 2025, selon le ministère des Finances, la hausse des dépenses courantes et la montée des engagements publics limitent la capacité du Trésor à absorber les retards de paiement.
Cette situation est d’autant plus sensible que le gouvernement poursuit sa politique de maîtrise de la dette intérieure et de réduction du déficit budgétaire, conformément aux engagements pris auprès du Fonds monétaire international (FMI) dans le cadre du programme appuyé sur la Facilité élargie de crédit (FEC).
Le non-paiement à temps des factures a des conséquences directes sur la liquidité des entreprises locales, notamment celles qui dépendent fortement des marchés publics. Plusieurs fournisseurs, notamment dans les secteurs du BTP, de la logistique et de la fourniture d’équipements, se plaignent de retards de trésorerie récurrents et de difficultés d’accès au crédit bancaire en raison de la stagnation des paiements.
Des réformes engagées, mais des défis persistants
Le gouvernement camerounais affirme travailler à résorber progressivement les arriérés intérieurs, à travers un renforcement du contrôle budgétaire et une meilleure prévisibilité de la dépense publique.
Des mesures de rationalisation ont été introduites, notamment la digitalisation de la chaîne de dépense, la priorisation des paiements selon leur impact économique et social, ainsi qu’un suivi renforcé des engagements via la Direction générale du Trésor et de la Coopération financière et monétaire (DGTCFM).
La CAA, en tant qu’organe chargé de la gestion de la dette publique, souligne dans sa note que le volume des RAP devrait être consolidé dans les semaines à venir, dans le cadre des travaux de fin de période budgétaire. L’objectif est de fiabiliser les données et d’établir une cartographie précise des engagements en attente.
Cependant, les analystes estiment que la résorption durable des retards de paiement passera par une augmentation des marges budgétaires et une réduction des dépenses non prioritaires. Certains plaident aussi pour un recours plus systématique au financement local à court terme, afin de lisser les tensions de trésorerie.
Une situation à surveiller de près
L’encours des factures impayées reste un indicateur clé de la santé financière de l’État et de la crédibilité de sa signature auprès des opérateurs économiques. Une aggravation du stock de RAP pourrait avoir un effet d’entraînement sur le secteur privé, notamment les PME et entreprises nationales, déjà fragilisées par des coûts de financement élevés.
Pour l’heure, la CAA se veut rassurante : les chiffres restent “globalement stables” et le Trésor public poursuit ses efforts pour apurer les arriérés les plus anciens. Mais les observateurs soulignent que la stabilité des chiffres ne doit pas masquer la vulnérabilité structurelle du système de paiement public.
Le Cameroun, engagé sur la voie de la consolidation budgétaire, doit encore trouver un équilibre entre la discipline financière imposée par les bailleurs et la fluidité du règlement de ses engagements domestiques, essentielle à la confiance du secteur privé et à la croissance économique.
Enjeux à retenir : le Trésor public camerounais doit jongler entre le respect de ses engagements macroéconomiques et la gestion quotidienne d’une trésorerie contrainte. Tant que les Reste-à-payer resteront à ce niveau, ils constitueront un frein à la relance du tissu économique local et à la crédibilité budgétaire de l’État.
Patrick Tchounjo



