CEMAC : La BEAC tire la sonnette d’alarme alors que les créances en souffrance grimpent à 17,4 % — un signal fort pour la stabilité financière régionale

La Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC) a publié une alerte inquiétante dans sa récente note de politique monétaire : les créances en souffrance représentent désormais 17,4 % de l’encours total des crédits bancaires dans la zone CEMAC, contre 16,6 % un an plus tôt. Cette hausse, apparemment marginale, cache une réalité plus profonde : la fragilisation progressive du système bancaire et les tensions latentes dans les bilans des établissements de crédit.
Selon les données consolidées de la BEAC et de la Commission Bancaire de l’Afrique Centrale (COBAC), le volume global des créances non performantes s’élève à 2 177 milliards de FCFA, tandis que les provisions constituées atteignent 1 507 milliards de FCFA. Si ces niveaux de couverture demeurent globalement satisfaisants, ils réduisent néanmoins la rentabilité des banques et leur capacité à financer l’économie réelle.
Une montée des risques dans un contexte de reprise fragile
Cette dégradation de la qualité du portefeuille bancaire survient dans un contexte marqué par une reprise économique encore inégale après les chocs de la pandémie et de l’inflation mondiale. Dans plusieurs États membres, la reprise du crédit au secteur privé a été freinée par les retards de paiement des administrations publiques, notamment envers les PME et les entreprises de travaux publics. Ces arriérés alimentent un effet domino, transformant des créances saines en créances douteuses.
La BEAC souligne également les difficultés structurelles persistantes dans la gouvernance des établissements financiers. Certains acteurs peinent à appliquer pleinement les normes prudentielles de la COBAC, notamment en matière de gestion des risques et de transparence comptable. Cette situation accroît la vulnérabilité du système bancaire face à un éventuel choc externe, comme la volatilité des prix du pétrole ou le resserrement des conditions de financement international.
Comparaison régionale : la CEMAC sous tension par rapport à l’UEMOA
En comparaison, le taux moyen de créances douteuses dans l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) s’établit autour de 10 %, selon la BCEAO. Cette différence significative met en évidence la fragilité structurelle du système bancaire en Afrique centrale. La forte concentration du crédit sur un nombre limité de grands clients et le poids des créances publiques accentuent le risque systémique dans la CEMAC.
Les banques de la zone UEMOA bénéficient d’un environnement réglementaire plus harmonisé, d’une plus grande diversification de portefeuille et d’un développement plus avancé du marché des capitaux. À l’inverse, dans la CEMAC, la dépendance vis-à-vis du secteur public et des entreprises extractives reste forte, limitant la résilience du secteur bancaire face aux cycles économiques.
Le défi de la transmission monétaire
L’un des enjeux majeurs de cette montée des créances en souffrance réside dans la transmission monétaire. En dépit des efforts récents de la BEAC pour relâcher sa politique monétaire et fluidifier la liquidité bancaire, la capacité réelle des banques à relancer le crédit demeure entravée. Une part importante des fonds injectés dans le système reste immobilisée sous forme de provisions ou d’actifs illiquides.
Cette situation freine la capacité de la BEAC à stimuler efficacement la croissance par le levier du crédit. Elle pose aussi la question de la solvabilité de certains établissements dont la qualité d’actifs continue de se dégrader. La banque centrale a d’ailleurs intensifié sa surveillance et exhorté les banques commerciales à renforcer leurs contrôles internes et à améliorer la gestion du risque de crédit.
Recommandations et perspectives
Pour la BEAC et la COBAC, l’urgence est désormais double : stabiliser les bilans bancaires tout en soutenant le financement de l’économie. Trois priorités se dégagent.
D’abord, renforcer les mécanismes de recouvrement et de restructuration des dettes. La lenteur des procédures judiciaires dans plusieurs pays de la CEMAC rend difficile la résolution des créances douteuses. Une réforme des cadres juridiques et un meilleur partage d’informations entre institutions financières seraient déterminants pour accélérer le traitement des impayés.
Ensuite, il est impératif de diversifier les portefeuilles de crédit. Les banques devraient progressivement réduire leur exposition au secteur public et développer des produits financiers mieux adaptés aux PME, à l’agriculture et à l’économie numérique. Cela permettrait de mieux répartir les risques et de soutenir des moteurs de croissance plus inclusifs.
Enfin, la gouvernance bancaire doit être modernisée. La professionnalisation des conseils d’administration, la digitalisation du suivi du risque de crédit et le renforcement de la supervision macroprudentielle constituent des leviers essentiels pour prévenir de nouvelles dérives.
Une alerte à ne pas ignorer
La montée des créances en souffrance à 17,4 % est bien plus qu’une statistique : c’est un signal d’alerte pour la stabilité financière de la CEMAC. Si la situation reste sous contrôle grâce au niveau élevé de provisions, la tendance actuelle menace la capacité du système bancaire à jouer pleinement son rôle de levier de croissance.
Dans une région où la bancarisation demeure inférieure à 25 %, la solidité des institutions financières est un enjeu majeur de confiance et de développement. La BEAC, consciente de ce risque, semble décidée à faire de la qualité des actifs bancaires une priorité de sa politique monétaire en 2025-2026.
Patrick Tchounjo



