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Cemac : le “choc de capital” arrive, 180 milliards FCFA à lever au Cameroun

Le compte à rebours est enclenché. Avec l’entrée en vigueur, au 1er janvier 2026, du relèvement du capital social minimum dans la zone Cemac, le secteur bancaire camerounais se retrouve face à une équation de financement et de stratégie. Le nouveau cadre, acté par la Commission bancaire de l’Afrique centrale (COBAC) via le règlement R-2025/02 adopté le 10 décembre 2025 à Libreville, porte le capital social minimum des banques de 10 à 25 milliards FCFA (et celui des établissements financiers de 1 à 4 milliards FCFA).

Au Cameroun, l’impact est immédiat parce que l’écart est massif. Selon une estimation publiée dans la presse économique locale, seules 4 banques seraient déjà au niveau requis, tandis que 15 autres devraient bâtir une trajectoire de recapitalisation représentant environ 180 milliards FCFA au total. Le même chiffrage précise que ces établissements devront soumettre avant le 30 juin 2026 des stratégies de relèvement de capital pouvant inclure des fusions ou acquisitions.

Une réforme de solidité… mais aussi de sélection naturelle

Sur le papier, la logique du superviseur est classique : un capital plus élevé sert de matelas de sécurité, améliore la capacité d’absorption des pertes et renforce la résilience d’un système exposé à des risques de crédit, de change et de concentration. Dans les faits, la réforme fonctionne aussi comme un mécanisme de tri. Elle avantage les filiales de groupes capables d’injecter rapidement des fonds, et met sous pression les petites banques ou celles dont l’actionnariat est trop fragmenté pour suivre le rythme.

Le texte prévoit une mise en conformité encadrée : les établissements qui ne pourront pas atteindre le niveau requis dans les délais doivent déposer au plus tard le 30 juin un plan de relèvement auprès du Secrétaire général de la COBAC, avec un calendrier d’augmentation pouvant aller jusqu’à 2029, afin d’éviter un choc trop brutal sur l’activité.

Pourquoi le Cameroun est en première ligne

Le Cameroun concentre l’un des paysages bancaires les plus denses de la sous-région et porte une large part des flux économiques de la Cemac. C’est donc mécaniquement le marché où la réforme produit le plus d’effets de structure. Le chiffre des 180 milliards FCFA à mobiliser illustre un point : le sujet n’est pas la rentabilité immédiate de certaines banques, mais leur capacité à transformer des résultats, des actionnaires et des bilans en capital “dur”, reconnu par le régulateur.

Les scénarios crédibles : injection, recomposition… ou consolidation

À l’échelle de chaque banque, plusieurs chemins existent, mais tous n’ont pas le même coût politique ni la même vitesse.

Le scénario le plus direct reste l’injection par les actionnaires existants (augmentation de capital, incorporation de réserves, renforcement par la maison mère quand elle existe). Pour les banques adossées à des groupes panafricains ou internationaux, c’est souvent l’option la plus rapide, à condition que la stratégie pays justifie l’effort.

Le deuxième scénario, plus délicat, consiste à faire entrer de nouveaux investisseurs : fonds d’investissement, partenaires stratégiques, voire rapprochements capitalistiques. Dans ce cas, l’enjeu dépasse la conformité : il touche au contrôle, à la gouvernance et à la trajectoire commerciale.

Le troisième scénario est celui que la réglementation rend implicitement plus probable : la consolidation. Des fusions entre banques de taille moyenne, des absorptions de petites structures, ou des alliances transfrontalières peuvent devenir des solutions “rationnelles” pour atteindre le seuil, mutualiser les coûts de conformité et élargir la base de dépôts. C’est précisément pourquoi les plans attendus par le superviseur peuvent inclure des opérations de fusion-acquisition.

Ce que cela change pour les clients, l’économie et le marché du crédit

À court terme, le risque principal est une période de transition où certaines banques, occupées à sécuriser leur capital, deviennent plus prudentes : resserrement du crédit, sélection plus stricte des dossiers, priorité aux signatures les moins risquées, et arbitrages plus conservateurs sur la liquidité. À moyen terme, l’effet peut être inverse si la réforme aboutit à des banques plus solides : amélioration de la confiance des correspondants étrangers, capacité plus grande à financer des projets, et baisse du risque systémique.

Mais la clé se jouera sur un point rarement discuté publiquement : la qualité de l’exécution des plans. Une recapitalisation réussie n’est pas seulement un montant levé ; c’est aussi un calendrier respecté, des actionnaires alignés, une gouvernance crédible et une stratégie qui prouve que le capital additionnel sera transformé en activité rentable, et non en simple conformité.

Une date pivot : 30 juin 2026

Le 30 juin 2026 n’est pas une formalité administrative. C’est une date de vérité qui va obliger chaque établissement en retard à choisir une option claire, à l’écrire, à la chiffrer et à l’assumer devant le superviseur. Dans un marché camerounais où la concurrence est forte et où les coûts de conformité ne cessent d’augmenter, cette réforme pourrait accélérer une transformation déjà à l’œuvre : moins d’acteurs, mais des institutions plus capitalisées, plus contrôlées et mieux armées face aux chocs

Patrick Tchounjo

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