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Côte d’Ivoire : la Banque mondiale double la mise sur le secteur électrique

La Banque mondiale confirme que le secteur électrique ivoirien restera l’un de ses chantiers prioritaires en Afrique de l’Ouest. En marge du Sommet régional sur le développement du gaz organisé à Abidjan le 7 décembre, Ousmane Diagana, vice-président de l’institution pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, a effectué une visite de travail sur le site de la centrale thermique de CIPREL, à Vridi.

Le message est double. D’abord rappeler le rôle historique du Groupe Banque mondiale dans l’essor du système électrique ivoirien. Ensuite signaler que ce soutien sera intensifié alors que la demande en énergie progresse d’environ 8 % par an et que le pays ambitionne de rester l’exportateur structurel d’électricité de la sous-région.

CIPREL, vitrine d’un partenariat public-privé « modèle »

Créée en 1994 avec l’appui combiné de l’IDA et de l’IFC, CIPREL, filiale du groupe Eranove, est devenue en trois décennies la vitrine d’un partenariat public-privé jugé exemplaire par la Banque mondiale. Ousmane Diagana n’a pas hésité à qualifier la centrale de « modèle de PPP le plus abouti possible », soulignant la capacité du montage à aligner intérêts de l’État, des investisseurs privés et des prêteurs internationaux.

Partie d’une capacité initiale de 99 MW, CIPREL a connu plusieurs extensions successives pour atteindre 556 MW depuis 2015, grâce notamment à l’installation d’un cycle combiné gaz-vapeur. Cette technologie améliore le rendement énergétique et permet, selon les données communiquées, d’éviter chaque année près de 500 000 tonnes de CO₂ par rapport à des solutions thermiques moins efficaces.

Le succès de CIPREL a ouvert la voie à un second projet majeur, Atinkou, à Jacqueville, en périphérie d’Abidjan. Également développé par Eranove et financé par l’IFC, ce projet de 390 MW vient compléter le dispositif. Ensemble, CIPREL et Atinkou totalisent 946 MW, soit la plus importante capacité thermique privée de Côte d’Ivoire.

Pour la Banque mondiale, ces deux actifs illustrent la stratégie recherchée : mobiliser le capital privé sur des projets structurants, adosser les financements à des contrats de long terme crédibles et garantir une trajectoire de transition énergétique compatible avec les engagements climatiques.

Une demande en hausse de 8 % par an

La visite de CIPREL intervient dans un contexte de forte tension sur l’offre régionale d’électricité, alors que la Côte d’Ivoire voit sa consommation croître rapidement. La demande progresse d’environ 8 % par an, tirée par trois dynamiques convergentes :

l’industrialisation, avec le développement de zones industrielles et de projets de transformation locale des matières premières ;
l’urbanisation accélérée, notamment dans le Grand Abidjan ;
l’extension des réseaux de distribution et la montée en puissance des programmes d’électrification pour les ménages.

Pour répondre à cette trajectoire, le gouvernement ivoirien prévoit 3 263 MW de capacités additionnelles d’ici 2030. Le programme repose sur un mix diversifié : près de 2 000 MW au gaz, 184 MW en hydraulique, 960 MW en solaire et 122 MW en biomasse. L’ambition est de maintenir une base thermique fiable, de préserver le rôle stratégique de l’hydroélectricité et d’accélérer le déploiement des renouvelables, tout en garantissant la stabilité du réseau.

Gaz, pierre angulaire du mix et enjeu de compétitivité

Dans ce scénario, le gaz naturel reste la pierre angulaire du dispositif. Il alimente les centrales thermiques de base comme CIPREL et Atinkou, assure la flexibilité du système et permet d’intégrer progressivement des volumes croissants de solaire et de biomasse.

Conscient de cet enjeu, le ministère de l’Énergie finalise un Plan directeur gaz, qui doit sécuriser l’approvisionnement à moyen et long terme. L’objectif est double : garantir la disponibilité moléculaire pour les centrales existantes et futures, et stabiliser les coûts sur la durée des contrats de production électrique.

Pour la Banque mondiale, la crédibilité du mix énergétique ivoirien dépendra largement de la réussite de ce plan gazier. Un déficit ou une volatilité excessive des coûts de gaz pourrait éroder la compétitivité de l’électricité, peser sur les finances publiques via les subventions et freiner l’appétit des investisseurs privés pour de nouveaux projets.

Mission 300 et accès universel : la dimension sociale

La réaffirmation de l’engagement de la Banque mondiale s’inscrit également dans la dynamique de l’initiative Mission 300, qui vise à accélérer l’accès à l’électricité en Afrique d’ici 2030. La Côte d’Ivoire est souvent citée comme l’un des pays les plus avancés du continent en matière de taux d’électrification, mais des poches de non-accès subsistent dans les zones rurales et périurbaines.

Pour l’institution, l’électricité ne doit pas être considérée uniquement comme un intrant productif, mais comme un levier de réduction de la pauvreté, d’amélioration des services sociaux (santé, éducation) et d’inclusion territoriale.

« Notre ambition est de faire en sorte que l’énergie soit de qualité et que son coût soit abordable, et en cela nous sommes engagés à apporter un accompagnement à la fois technique et financier à la Côte d’Ivoire », a insisté Ousmane Diagana. Le soutien portera autant sur les infrastructures de production et de transport que sur le renforcement des utilities, la réduction des pertes techniques et commerciales, et l’optimisation des modèles tarifaires.

Compétitivité industrielle et rôle régional

Au-delà de l’accès, la Banque mondiale rappelle que le secteur électrique ivoirien est au cœur de la compétitivité industrielle du pays. L’économie ivoirienne vise un positionnement de plateforme régionale pour l’agro-industrie, les services et certaines activités manufacturières.

Un approvisionnement électrique fiable et compétitif est une condition centrale pour attirer des investissements directs étrangers, soutenir la montée en gamme des chaînes de valeur et maintenir la position de la Côte d’Ivoire comme exportateur net d’électricité vers plusieurs pays voisins.

En confirmant son intention d’intensifier ses interventions (financements de projets, garanties au secteur privé, appui à la planification du mix énergétique et au plan gazier), la Banque mondiale envoie un signal clair aux marchés : elle considère le système électrique ivoirien comme un actif stratégique pour la région Afrique de l’Ouest et du Centre, et non comme un simple dossier national.

Un pipeline de projets à calibrer finement

La trajectoire qui se dessine pour la décennie à venir sera toutefois exigeante. La multiplication des projets (gaz, hydroélectricité, solaire, biomasse) pose des questions d’arbitrage en termes de séquençage, de structure contractuelle et de soutenabilité financière.

Pour la Banque mondiale comme pour l’État ivoirien, l’enjeu est de calibrer un pipeline de projets compatible avec :

la capacité des finances publiques à honorer les engagements de type contrats d’achat d’électricité ;
la soutenabilité tarifaire pour les ménages et les entreprises ;
la maîtrise du risque de change sur les financements en devises ;
le respect des engagements climatiques, alors que le pays structure progressivement sa stratégie de neutralité carbone à long terme.

Dans ce cadre, CIPREL et Atinkou jouent un rôle de « proof of concept » : s’ils continuent à délivrer des performances techniques et financières solides, ils serviront de référence pour les prochains projets, y compris dans les renouvelables.

La visite d’Ousmane Diagana à Vridi n’est donc pas qu’un geste symbolique. Elle acte la volonté de la Banque mondiale de rester au cœur du financement du secteur électrique ivoirien, à la croisée des impératifs d’accès universel, de transition énergétique et de compétitivité industrielle. La suite se jouera dans la capacité du pays à exécuter son plan de 3 263 MW supplémentaires d’ici 2030 sans perdre de vue la soutenabilité globale de son modèle électrique.

Patrick Tchounjo

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