Banque & Vous

Gabon : la pénurie de devises met à l’épreuve la stabilité financière et révèle les fragilités structurelles de l’économie nationale

Le Gabon traverse une tension monétaire sans précédent. La pénurie de devises étrangères, confirmée par le Comité national économique et financier (CNEF), inquiète les autorités et les acteurs économiques. Dans un contexte où les besoins en devises pour les importations, les paiements internationaux et les investissements étrangers sont cruciaux, cette rareté affecte directement la confiance dans le système bancaire et menace de déséquilibrer le marché officiel des changes, pourtant encadré par la Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC).

Cette situation, symptomatique de fragilités macroéconomiques persistantes, met en lumière les limites d’un modèle de croissance encore trop dépendant des hydrocarbures et la lente diversification de l’économie gabonaise. L’analyse révèle un triple enjeu : la crédibilité du cadre monétaire, la soutenabilité des finances publiques et la compétitivité du secteur privé.

Une rareté des devises révélatrice d’un déséquilibre profond

Les signaux d’alerte émis par le CNEF traduisent un dérèglement du mécanisme d’approvisionnement en devises au sein du système bancaire gabonais. Les banques et les bureaux de change peinent à satisfaire la demande croissante des entreprises importatrices et des particuliers. Cette tension s’explique par une accumulation de déséquilibres macroéconomiques : baisse relative des recettes d’exportation, retards de transferts de devises depuis la BEAC et pressions sur les réserves extérieures.

Le paradoxe est frappant : le Gabon, premier exportateur de pétrole de la zone CEMAC, souffre d’un manque de devises. Ce paradoxe s’explique par la structure peu inclusive du secteur pétrolier. Les revenus d’exportation, largement rapatriés via des circuits internationaux, ne se traduisent pas toujours en liquidités accessibles au système bancaire local. La centralisation des devises à la BEAC, combinée à des procédures administratives lourdes, aggrave les délais d’approvisionnement et alimente la frustration des opérateurs économiques.

Le risque majeur réside dans la création d’un marché parallèle des devises, avec des taux de change officieux nettement supérieurs à ceux du marché réglementé. Ce désalignement crée une double économie monétaire, renforce les inégalités d’accès à la devise et détériore la compétitivité des entreprises locales face aux importateurs privilégiés.

Les impacts macrofinanciers : confiance, investissement et inflation

Sur le plan financier, la pénurie de devises a un effet de contagion sur la confiance des agents économiques. Les entreprises confrontées à des retards dans les transferts internationaux ou les paiements d’importation voient leur trésorerie se dégrader. Les coûts logistiques augmentent, tout comme les prix des biens importés, générant une pression inflationniste sur les produits de base.

Pour les banques, la situation accentue les risques de désintermédiation financière : les clients préfèrent se tourner vers des circuits informels pour leurs transactions internationales, ce qui prive le système bancaire de liquidité en devises et de commissions de change. Ce mouvement érode la rentabilité du secteur et accroît les risques de non-conformité réglementaire.

Sur le plan macroéconomique, cette rareté réduit la capacité du pays à financer ses engagements extérieurs, notamment le service de la dette et les importations stratégiques (énergie, médicaments, intrants agricoles). En parallèle, elle freine les investissements directs étrangers, car les multinationales craignent de ne pas pouvoir rapatrier leurs profits. Ce climat d’incertitude compromet la visibilité des projets structurants et la crédibilité du Gabon sur les marchés financiers régionaux.

Un contexte régional et institutionnel délicat

La situation du Gabon s’inscrit dans un contexte plus large de tension monétaire en zone CEMAC. Bien que les réserves extérieures de la communauté se soient redressées ces dernières années, leur répartition et leur accès restent inégaux. Certains pays membres, comme le Cameroun et le Congo, disposent d’un flux de devises plus stable grâce à une base exportatrice diversifiée.

La BEAC, dans son rôle de garant de la stabilité monétaire, maintient une approche prudente en matière de distribution des devises. Mais cette politique, conçue pour protéger le stock global de réserves, peut parfois se heurter aux besoins immédiats des économies nationales. Le défi est d’assurer un équilibre entre discipline macroéconomique et flexibilité opérationnelle.

Le CNEF a d’ailleurs mis en garde contre le risque de perte de contrôle du marché officiel, soulignant qu’un écart prolongé entre le taux officiel et le taux parallèle minerait la confiance dans la politique de change commune. Cette alerte est d’autant plus critique que la CEMAC évolue dans un régime de change fixe adossé à l’euro, qui impose une rigueur absolue dans la gestion des devises.

Repenser la gouvernance monétaire et la diversification économique

Face à cette situation, plusieurs leviers d’action s’imposent. D’abord, une amélioration du mécanisme d’allocation des devises s’avère nécessaire. Une révision des procédures de transfert de devises par la BEAC et les banques commerciales permettrait de réduire les délais et de fluidifier les transactions. Ensuite, le renforcement de la coordination entre les autorités monétaires et les acteurs économiques est indispensable pour anticiper les besoins du marché et limiter les déséquilibres.

Sur le plan structurel, le Gabon doit accélérer sa diversification économique. La dépendance excessive aux exportations pétrolières rend le pays vulnérable aux fluctuations externes. Le développement de secteurs comme l’agro-industrie, les mines, la transformation du bois ou le numérique offrirait de nouvelles sources de recettes en devises et contribuerait à stabiliser le marché.

Enfin, la transparence et la communication économique sont essentielles pour restaurer la confiance. Dans un environnement de tension, l’opacité alimente la spéculation et les comportements opportunistes. Une publication régulière des données sur les flux de devises, les réserves disponibles et les priorités d’allocation renforcerait la crédibilité de l’action publique.

Une alerte stratégique pour la politique économique gabonaise

La crise actuelle des devises dépasse le seul enjeu technique du marché des changes. Elle interroge le modèle de résilience économique du Gabon et la gouvernance de ses politiques publiques. Plus qu’un signal conjoncturel, cette situation est un test de solidité institutionnelle.

Pour le pays, l’enjeu est double : maintenir la confiance dans le système financier tout en repensant son modèle de création de valeur à long terme. Si la réaction des autorités sera déterminante à court terme, la véritable solution repose sur une transformation structurelle capable de produire durablement des devises, d’attirer les investisseurs et de renforcer la souveraineté économique du Gabon.

Patrick Tchounjo

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page