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La BEAC s’inquiète de l’exposition croissante des banques aux États de la CEMAC

La Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) tire la sonnette d’alarme. Dans un contexte marqué par la fragilité budgétaire de plusieurs pays de la sous-région, l’institution monétaire de la CEMAC (Cameroun, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, Tchad et Centrafrique) s’inquiète de la hausse continue de l’exposition des banques commerciales aux dettes souveraines nationales. Une tendance jugée préoccupante, car elle fragilise la stabilité du système financier régional.

Selon les données internes de la banque centrale, la part des titres publics détenus par les établissements de crédit a progressé de manière significative au cours des deux dernières années. En moyenne, les banques de la CEMAC consacrent désormais près de 25 % de leurs actifs aux obligations d’État, contre environ 15 % en 2020. Ce phénomène s’explique par la multiplication des émissions de titres publics sur le marché monétaire régional, devenues la principale source de financement des budgets nationaux.

Une dépendance mutuelle à risque

Cette interconnexion croissante entre les États et le secteur bancaire crée un risque de dépendance mutuelle. Les gouvernements, confrontés à des déficits budgétaires persistants et à un accès restreint aux marchés internationaux, se tournent massivement vers les banques locales pour financer leurs dépenses. Ces dernières, en quête de placements sûrs et rémunérateurs, achètent les titres publics émis, souvent à des taux attractifs.

Mais cette situation, en apparence gagnant-gagnant, dissimule des fragilités structurelles. En cas de choc budgétaire ou de défaut partiel d’un État, le secteur bancaire pourrait subir de fortes pertes, menaçant la liquidité du système et la capacité de financement de l’économie réelle. La BEAC redoute un effet domino : une crise de confiance dans la dette souveraine pourrait rapidement se propager aux bilans bancaires et compromettre la stabilité monétaire régionale.

Des signaux de vulnérabilité à surveiller

Plusieurs indicateurs témoignent déjà de tensions latentes. Le taux de refinancement des banques auprès de la BEAC reste élevé, signe d’une dépendance croissante à la liquidité centrale. Parallèlement, les marges de crédit au secteur privé se resserrent, car une partie importante des ressources bancaires est captée par les obligations d’État. Ce “effet d’éviction” du crédit à l’économie réelle inquiète les observateurs, d’autant plus que les PME et les investisseurs privés peinent à accéder à des financements abordables.

Les autorités monétaires craignent également un risque de concentration. Dans certains pays, plus de la moitié du portefeuille de titres souverains est détenue par un nombre limité d’institutions bancaires. En cas de dégradation de la note de crédit d’un État ou de tensions sur le marché régional des titres publics, l’impact serait direct et massif.

Vers une régulation plus stricte

Face à ces signaux, la BEAC et la Commission bancaire de l’Afrique centrale (COBAC) envisagent de renforcer le cadre prudentiel applicable aux établissements de crédit. Parmi les pistes évoquées figurent l’instauration de plafonds d’exposition par État, une meilleure transparence sur la nature des titres détenus, et un suivi plus rapproché des risques souverains dans les bilans bancaires.

La banque centrale appelle également les États à diversifier leurs sources de financement, notamment en recourant davantage aux marchés internationaux, aux partenariats public-privé et aux instruments de financement vert. Objectif : éviter que la dette publique domestique ne devienne une menace pour la stabilité du système financier régional.

Un avertissement politique et économique

Au-delà de la question technique, l’alerte de la BEAC revêt une dimension politique. Elle rappelle la fragilité des équilibres budgétaires de la zone CEMAC, où la plupart des États restent dépendants des revenus pétroliers et des financements multilatéraux. Les tensions sur les marchés, conjuguées aux incertitudes liées à la conjoncture mondiale, rendent les marges de manœuvre étatiques particulièrement étroites.

En maintenant une politique monétaire prudente et en surveillant de près les expositions bancaires, la BEAC entend prévenir une crise de confiance qui pourrait fragiliser tout l’édifice financier régional. Mais l’équation reste délicate : comment soutenir la relance économique sans alimenter les vulnérabilités du système bancaire ?

L’avertissement est clair : sans discipline budgétaire accrue, diversification économique et gouvernance financière renforcée, la solidité de la CEMAC pourrait être mise à l’épreuve. Dans une région où la stabilité monétaire demeure un pilier de crédibilité, la BEAC veut rappeler que la confiance du marché se construit aussi sur la prudence.

Patrick Tchounjo

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