Première en Afrique subsaharienne : la BERD ouvre le bal au Bénin avec un prêt de 30 millions €

Le Bénin vient de franchir une étape discrète mais structurante dans sa trajectoire de financement du développement : la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) lui accorde un prêt souverain de 30 millions d’euros, destiné à moderniser les infrastructures de distribution d’électricité. L’annonce, datée du 12 décembre 2025, marque un jalon historique pour l’institution, dont il s’agit du tout premier investissement en Afrique subsaharienne.
Le projet vise d’abord un objectif très concret : renforcer la fiabilité du réseau et étendre l’accès à l’électricité dans des zones encore sous-desservies. Le financement est accordé à la Société béninoise d’énergie électrique (SBEE) et doit contribuer à raccorder environ 120 000 nouveaux foyers, soit près de 600 000 personnes, dans les départements du Mono, du Couffo et du Borgou, à travers quelque 750 localités rurales.
Derrière ces chiffres, il y a une lecture économique plus large : l’électricité n’est pas seulement un service social, c’est une condition d’industrialisation légère, de productivité des PME, de résilience des services publics, et de réduction des inégalités territoriales. En ciblant la distribution moyenne et basse tension, l’opération s’attaque à une zone souvent moins “visible” que la production, mais déterminante pour transformer des mégawatts en activité économique. La BERD souligne d’ailleurs que le programme inclut des améliorations techniques comme de meilleurs systèmes de détection des pannes et un renforcement des capacités de cybersécurité de l’opérateur.
Le prêt de 30 millions d’euros n’est pas un acte isolé. Il s’insère dans un programme de 173 millions d’euros, avec des cofinancements annoncés et un appui sous forme de subvention via la plateforme d’investissement africaine de l’Union européenne. Cette architecture illustre une tendance lourde : le retour des montages multilatéraux et européens dans les infrastructures “du quotidien”, avec une exigence croissante de performance opérationnelle, de transparence et de durabilité.
Si le Bénin devient le point de départ, c’est aussi parce que la fenêtre institutionnelle s’est ouverte. La BERD était historiquement concentrée sur l’Europe, l’Asie centrale et le pourtour méditerranéen. Son arrivée au sud du Sahara est rendue possible par une évolution de ses statuts, notamment via l’amendement de l’Article 1 de son traité fondateur, approuvé par les gouverneurs en 2023 puis accepté par les actionnaires en 2025, permettant l’extension des opérations à certains pays d’Afrique subsaharienne et à l’Irak.
Dans ce nouveau cadre, le Bénin cumule plusieurs facteurs d’attractivité pour une institution qui se veut “banque de transition” : stabilité macroéconomique, dynamique réformatrice, et volonté affichée de mobiliser des financements multilatéraux pour combler un déficit d’infrastructures qui freine la croissance potentielle. Le pays est devenu actionnaire de la BERD en 2024 et a obtenu le statut de pays d’opération en juillet 2025, une séquence rapide qui montre une stratégie assumée d’arrimage à des guichets additionnels de financement.
Au-delà de l’impact énergétique immédiat, ce premier prêt joue un rôle de signal pour le marché. Pour la BERD, il s’agit de prouver sa capacité à déployer ses standards d’investissement, de gouvernance et de suivi dans un environnement nouveau, avec des projets à forte portée sociale mais aux risques opérationnels réels. Pour les États et les acteurs privés de la sous-région, l’opération envoie un message : une nouvelle source de financement arrive, avec une préférence marquée pour les secteurs jugés structurants comme l’énergie, les infrastructures et le développement du secteur privé. Des textes européens anticipaient d’ailleurs des premières interventions en Afrique subsaharienne à partir de 2025 dans plusieurs pays, dont le Bénin, sous réserve de procédures d’éligibilité et d’approbation.
Pour l’espace francophone, l’enjeu est immédiatement bancaire. L’arrivée d’un nouvel acteur multilatéral ne se limite pas à un prêt souverain : elle peut influencer la structuration de projets, créer des opportunités de cofinancement, renforcer les exigences de conformité et de reporting, et tirer vers le haut les standards de gestion des risques sur des secteurs essentiels. À mesure que la BERD déploiera sa stratégie, les banques locales pourraient se retrouver au cœur de dispositifs de crédit, de garanties, de financement de chaînes d’approvisionnement, ou d’appui aux entreprises qui bénéficient indirectement d’un réseau électrique plus fiable.
Le Bénin, lui, joue une carte classique mais efficace : commencer par un projet à impact visible, dans un secteur qui conditionne tous les autres. Reste la variable qui départage les annonces des transformations : l’exécution. Car l’effet économique d’un financement se mesure moins au montant qu’à la vitesse de mise en œuvre, à la qualité des travaux, à la maintenance, et à la capacité de l’opérateur à convertir l’investissement en continuité de service.
Patrick Tchounjo



