Sidi Ould Tah plaide pour l’accès du Fonds Africain de Développement aux marchés de capitaux : un tournant décisif pour la souveraineté financière africaine

Depuis son arrivée à la tête du Groupe de la Banque Africaine de Développement (BAD), Sidi Ould Tah imprime une orientation claire : refonder le modèle de financement du développement africain. Dans un contexte de raréfaction des ressources concessionnelles, le nouveau président exhorte le Fonds Africain de Développement (FAD) à franchir un cap historique en accédant directement aux marchés internationaux de capitaux.
Cette position, loin d’être théorique, reflète une urgence structurelle. Le modèle basé sur les contributions publiques des bailleurs traditionnels montre ses limites. Avec la perspective d’un désengagement partiel des États-Unis et la contraction des budgets d’aide dans plusieurs pays donateurs, le FAD se retrouve confronté à un impératif : diversifier ses sources de financement pour préserver sa capacité d’intervention.
Sidi Ould Tah estime qu’en mobilisant des capitaux à travers des émissions obligataires ou d’autres instruments de dette à long terme, le FAD pourrait non seulement renforcer sa soutenabilité financière, mais aussi étendre son champ d’action dans les secteurs stratégiques : infrastructures, énergie, agriculture, et climat.
Une réponse à l’épuisement du modèle d’aide publique
L’appel du président de la BAD s’inscrit dans une réalité financière de plus en plus contraignante. Les contributions des partenaires historiques stagnent alors que les besoins de financement du continent atteignent des niveaux records. Les économies africaines doivent faire face à des défis massifs de transformation structurelle : urbanisation rapide, déficit énergétique, résilience climatique et montée en puissance du numérique.
Dans ce contexte, le modèle traditionnel des dons et prêts concessionnels apparaît insuffisant. L’accès aux marchés de capitaux offre une alternative crédible pour mobiliser des ressources à grande échelle et sur des horizons temporels adaptés à la nature des projets de développement. Sidi Ould Tah appelle ainsi à une réforme profonde qui ferait du FAD non plus un simple réceptacle d’aides, mais un acteur souverain du financement africain.
L’objectif est aussi de repositionner la BAD comme une institution capable de catalyser les capitaux privés et institutionnels, en partenariat avec les États et les acteurs régionaux. Ce virage stratégique permettrait à l’Afrique de mieux maîtriser son destin financier et de réduire sa dépendance vis-à-vis des bailleurs du Nord.
Des précédents africains inspirants
Le plaidoyer de Sidi Ould Tah s’inscrit dans la continuité des démarches entreprises par plusieurs institutions régionales. La Banque Ouest-Africaine de Développement (BOAD) a récemment levé un milliard d’euros sur quinze ans sur le marché international, une opération historique saluée par les investisseurs. La Banque Arabe pour le Développement Économique en Afrique (BADEA) a, elle aussi, accédé aux marchés pour renforcer son capital et financer ses programmes à long terme. Quant à la BAD, elle a depuis plusieurs années intégré les marchés obligataires internationaux dans sa stratégie de diversification financière.
Ce mouvement confirme qu’il est désormais possible pour les institutions africaines d’obtenir la confiance des marchés mondiaux, à condition d’afficher une gouvernance solide, une discipline financière rigoureuse et une notation crédible. Pour le FAD, suivre cette voie serait non seulement un choix stratégique, mais un signal fort envoyé aux investisseurs internationaux sur la maturité financière du continent.
Les défis à surmonter
Accéder aux marchés comporte néanmoins des risques qu’il faut anticiper. Le principal concerne le risque de change, car la dette contractée en devises fortes (euros ou dollars) expose l’émetteur aux fluctuations monétaires. Une gestion prudente des couvertures et des swaps sera indispensable pour éviter une hausse imprévisible du coût de la dette.
Le second défi réside dans la soutenabilité du service de la dette. Le FAD devra s’assurer que les projets financés génèrent des retours économiques suffisants pour rembourser ses engagements, sans compromettre la stabilité financière des pays bénéficiaires. Enfin, la réussite de cette transition dépendra largement de la crédibilité institutionnelle du FAD. Les marchés examineront de près sa transparence, la qualité de ses états financiers, la robustesse de ses garanties et la cohérence de sa gouvernance.
Une ambition pour une Afrique souveraine financièrement
Au-delà de l’aspect technique, la vision de Sidi Ould Tah est profondément politique. Elle vise à consolider une autonomie financière africaine qui permettrait aux institutions du continent de financer leurs priorités sans dépendre exclusivement de l’aide extérieure. Cette transformation renforcerait également la position géopolitique de l’Afrique dans le système financier mondial, en la plaçant comme un acteur crédible et non plus simplement bénéficiaire.
Le Fonds Africain de Développement pourrait ainsi devenir un véritable levier de financement souverain, capable d’intervenir dans des projets d’envergure continentale, d’attirer des cofinancements privés et d’amplifier l’impact économique de la BAD.
Cette orientation n’est pas un simple slogan. Elle constitue une réponse pragmatique à une double réalité : la raréfaction de l’aide et la montée des besoins. Si le FAD parvient à réussir cette mutation, il ne se contentera pas de renforcer sa résilience financière. Il posera les bases d’une nouvelle architecture du financement africain, fondée sur la responsabilité, la transparence et la souveraineté.
En appelant à ce tournant, Sidi Ould Tah s’impose comme l’un des artisans d’une Afrique qui veut financer elle-même son développement, sans attendre le bon vouloir des bailleurs. Un message fort à un moment charnière pour le continent.
Patrick Tchounjo



