26,9 milliards FCFA : le Cameroun teste sa puissance de garantie auprès de la BDEAC

Au Cameroun, la garantie souveraine sort de la théorie pour entrer dans le dur du financement de l’économie réelle. En août 2025, l’État a discrètement activé sa facilité de garantie de 200 milliards de FCFA, créée en 2021, pour permettre à trois entreprises privées de lever 26,9 milliards de FCFA auprès de la Banque de développement des États de l’Afrique centrale (BDEAC). L’opération, révélée dans la note de conjoncture sur la dette publique à fin septembre 2025, illustre un basculement stratégique : utiliser la signature de l’État non plus seulement pour sa propre dette, mais comme levier au service du secteur productif.
Selon la Caisse autonome d’amortissement (CAA), qui gère la dette publique, la BDEAC a signé le 19 août 2025 trois conventions de financement garanties à 50 % par l’État avec LP Industrie SA (8,9 milliards FCFA), Groupe Sohaing SAS (15 milliards FCFA) et Camas SA (3 milliards FCFA). Les crédits visent respectivement la construction d’une usine de fer à béton, l’édification d’un hôtel haut standing et l’acquisition de 23 camions couplée à la construction d’une base logistique. En pratique, le Trésor public s’engage à rembourser la moitié des montants en cas de défaut des emprunteurs, réduisant substantiellement le risque porté par la BDEAC.
Un mécanisme de partage du risque au cœur de la relation État–banques
Pour la banque de développement sous-régionale, cette garantie souveraine améliore la qualité de risque des dossiers portés par des entreprises de droit camerounais, souvent pénalisées par des bilans fragiles ou un historique de crédit limité. L’architecture est celle d’un schéma classique de partage du risque : l’État assume une partie du risque de non-remboursement, ce qui encourage l’octroi de financements à plus long terme, à des conditions potentiellement plus compétitives que le crédit bancaire classique.
Cette montée en puissance s’appuie sur la convention de garantie de portefeuille signée le 20 décembre 2023 à Douala entre le ministre des Finances, Louis Paul Motazé, et le président de la BDEAC, Dieudonné Evou Mekou. Elle traduit sur le plan opérationnel la volonté de l’État de rendre pleinement fonctionnelle la facilité de 200 milliards de FCFA inscrite dans la loi de finances 2021.
Par ailleurs, le dispositif de garantie a été étendu aux relations avec les banques commerciales et établissements de microfinance, à travers une convention spécifique, afin de doper l’offre de crédit dans l’économie. L’État se positionne ainsi comme co-assureur systémique du risque de crédit dans un environnement où les établissements de crédit restent prudents face à la montée des créances douteuses dans la zone CEMAC.
Une facilité réformée pour corriger ses limites
Si la facilité de garantie de 200 milliards de FCFA est en vigueur depuis 2021, sa mise en œuvre effective n’a véritablement démarré qu’en 2022, avec des résultats jugés mitigés par les autorités. D’où une révision du mécanisme en 2023 pour le rendre plus incitatif et mieux ciblé.
Le nouveau schéma prévoit une répartition claire de l’enveloppe : 30 % pour les entreprises et établissements publics, 70 % pour les entreprises privées. L’objectif est de limiter la captation des ressources de garantie par le seul secteur public et d’orienter l’essentiel de la capacité de garantie vers le secteur productif.
Le taux de couverture est, lui aussi, encadré : la garantie est plafonnée à 30 % du crédit pour les grandes entreprises, contre 70 % pour les PME. Ces seuils peuvent toutefois monter à 60 % et 80 % lorsque les projets se situent dans des zones économiquement sinistrées, notamment le Nord-Ouest, le Sud-Ouest et l’Extrême-Nord, régions affectées par la crise anglophone ou les attaques de Boko Haram.
L’opération de 26,9 milliards de FCFA en faveur de LP Industrie, Groupe Sohaing et Camas illustre ce nouvel équilibre : des entreprises privées à capitaux majoritairement camerounais, opérant dans l’industrie, l’hôtellerie et la logistique, des secteurs à fort effet d’entraînement sur l’emploi, la demande de services financiers et la structuration de chaînes de valeur locales.
Un outil aligné sur les priorités de la SND30
La facilité de garantie est également conçue comme un bras financier de la Stratégie nationale de développement 2020–2030 (SND30), qui fixe les priorités sectorielles de la transformation structurelle du pays : énergie, services financiers, agro-industrie, numérique, bois, textile-confection-cuir, mines-métallurgie-sidérurgie, hydrocarbures-pétrochimie-raffinage, chimie-pharmacie, construction et services.
Les prêts éligibles sont ceux finançant le fonds de roulement, l’investissement productif ou l’augmentation de la production locale de biens massivement importés, ainsi que le renforcement des capacités d’exportation. Sont explicitement exclues les opérations de refinancement, de restructuration ou de rachat de dettes existantes, afin d’éviter que la garantie étatique ne serve à socialiser des pertes bancaires passées, au détriment du financement de nouveaux projets.
Dans un contexte où les besoins de financement de la SND30 se chiffrent à plusieurs dizaines de milliers de milliards de FCFA sur la décennie, la garantie souveraine est appelée à jouer un rôle clé pour attirer des capitaux, sécuriser les prêteurs et aligner les flux financiers sur les priorités de diversification et d’industrialisation.
Une opération test pour la BDEAC, un signal pour le marché bancaire
Pour la BDEAC, les trois financements garantis par l’État camerounais constituent un cas d’école de partage du risque : la banque de développement conserve une exposition significative, mais bénéficie d’un coussin de sécurité apporté par le Trésor. Ce modèle pourrait être reproduit pour des projets d’envergure plus importante dans l’énergie, les infrastructures ou l’agro-industrie, où les tickets unitaires dépassent les 20 ou 30 milliards de FCFA.
Pour le marché bancaire local, le signal est tout aussi fort. La mise en avant d’un partage 30/70 entre secteur public et secteur privé dans l’utilisation de la garantie traduit une volonté de replacer l’entreprise privée au cœur du financement de la croissance. Les banques commerciales pourraient, à terme, structurer davantage de financements syndiqués ou cofinancés avec la BDEAC, sous parapluie de garantie souveraine, notamment pour des projets alignés sur la SND30.
Reste le sujet sensible de la dette contingente : chaque garantie accordée par l’État constitue un risque latent pour les finances publiques, qui se matérialisera en dette explicite en cas de défaut. Le défi, pour le ministère des Finances et la CAA, est donc de sélectionner des projets bancables, de suivre de près la performance des bénéficiaires et d’éviter que la garantie ne se transforme en subvention implicite et récurrente.
Pour l’instant, l’activation de 26,9 milliards de FCFA sur une enveloppe de 200 milliards reste modeste, mais elle marque un tournant : le Cameroun commence à utiliser sa garantie souveraine comme un véritable instrument de politique industrielle et bancaire, en partenariat étroit avec la BDEAC. Si les trois projets financés confirment leur viabilité et remboursent normalement, ils serviront de vitrine à une montée en puissance du dispositif dans toute la zone CEMAC, avec un impact direct sur l’offre de crédit et la profondeur du système financier régional.
Patrick Tchounjo



