BAD : à Londres, le FAD lève 11 milliards $ et change d’échelle

Londres aura été, cette année, le théâtre d’un test grandeur nature pour la finance du développement en Afrique. À l’issue de la 17ᵉ reconstitution du Fonds africain de développement (FAD-17), le guichet concessionnel du Groupe de la Banque africaine de développement (BAD), l’institution annonce un montant record de 11 milliards de dollars, obtenu auprès de 43 partenaires, dans un contexte marqué par la compression des budgets d’aide et le durcissement des politiques budgétaires dans plusieurs pays donateurs.
Pour la BAD, l’exercice est plus qu’un succès comptable : il s’agit d’un signal politique et financier envoyé aux marchés, aux États africains et aux acteurs privés. Sous la conduite de Sidi Ould Tah, en poste depuis 2025, la banque a voulu démontrer que le financement concessionnel pouvait encore mobiliser, au-delà des cycles de fatigue des bailleurs, à condition de se repositionner comme un instrument d’“investissement” autant que de solidarité.
Le chiffre de 11 milliards reste néanmoins à lire avec nuance. Il dépasse la reconstitution précédente, évaluée à 8,9 milliards en 2022, mais il demeure inférieur à l’objectif initial plus ambitieux évoqué en amont du rendez-vous de Londres, dans une séquence internationale où l’engagement américain, longtemps structurant, apparaît moins lisible.
Une reconstitution record, et un tournant dans le récit : l’Afrique “co-investisseur”
Le fait marquant de ce cycle n’est pas seulement le volume levé, mais la manière dont il a été obtenu. D’après les informations communiquées autour de la conférence, 23 pays africains ont contribué au guichet concessionnel, pour 182,7 millions de dollars, dont 19 contributions “première fois”, un mouvement présenté comme une rupture : l’Afrique ne veut plus être perçue uniquement comme bénéficiaire, mais comme co-investisseur de ses propres priorités de développement.
Cette inflexion compte particulièrement pour l’Afrique francophone. D’une part, elle renforce la légitimité d’un financement concessionnel dont dépendent de nombreux États à faible revenu ou en situation de fragilité. D’autre part, elle installe une nouvelle grammaire : obtenir des ressources ne repose plus uniquement sur la relation donateur-bénéficiaire, mais sur la capacité à démontrer un alignement stratégique, une gouvernance d’exécution et un effet de levier sur l’investissement privé.
Ce que finance le FAD, et pourquoi les banques suivent de près
Le FAD est l’outil par lequel la BAD finance, à conditions très concessionnelles (prêts bonifiés, dons, garanties), les pays à plus faible capacité d’endettement. Les ressources mobilisées dans le cadre du FAD-17 doivent être orientées vers 37 pays africains à faible revenu et fragiles, avec des priorités qui parlent directement aux économies francophones : accès à l’énergie, sécurité alimentaire, capital humain, intégration régionale et commerce, infrastructures résilientes.
Pour les banques commerciales et les acteurs du financement en zone UEMOA et CEMAC, l’intérêt est immédiat : les projets du FAD structurent des pipelines d’infrastructures (routes, énergie, eau, digital public) et créent des opportunités de cofinancement, de garanties, de financement de chaînes d’approvisionnement, de services de paiement et de trésorerie pour les entreprises attributaires. Dans la pratique, une reconstitution élevée ne se traduit pas seulement par davantage de projets ; elle se traduit par plus de transactions bancables autour de ces projets.
Le cœur de la stratégie : transformer la concession en levier d’investissement
L’un des messages clefs de la séquence de Londres est que la concession doit “travailler” davantage. Les partenaires ont validé une évolution du modèle financier visant à permettre au Fonds de mieux mobiliser des ressources additionnelles, notamment via de nouveaux outils de levier (option d’emprunt de marché, instruments de capital hybride) et une utilisation plus explicite de la concession pour absorber le risque et attirer du capital privé.
La logique est connue des spécialistes : dans des environnements de risque élevé (fragilité, volatilité, contraintes de change, risques réglementaires), ce n’est pas l’absence de projets qui bloque l’investissement, mais le profil de risque. En “dé-riskant” via des garanties, des subventions ciblées, ou des structures de financement mixte, le FAD permet à la BAD de transformer des projets techniquement pertinents en projets finançables, et donc exécutables. Les communications autour du cycle rappellent d’ailleurs un indicateur qui parle au secteur financier : chaque dollar engagé par le Fonds mobiliserait plus de 2,50 dollars de cofinancement et de capital privé, avec l’ambition d’améliorer ce ratio sur le cycle.
La géopolitique de l’aide s’invite à la table
La reconstitution du FAD-17 intervient sur fond de recomposition des priorités internationales. Le contexte évoqué à Londres est celui d’un resserrement des budgets d’aide et d’une incertitude accrue sur certains contributeurs majeurs. Sur ce point, plusieurs éléments publics soulignent que l’exercice a été mené alors que la contribution américaine n’était pas confirmée, après des signaux de réduction des engagements.
Pour la BAD, ce contexte renforce l’intérêt de deux stratégies parallèles : diversifier les sources (y compris via de grands partenaires cofinanceurs) et construire une capacité à compléter la concession par d’autres poches de financement. Les annonces associées au cycle incluent, par exemple, des engagements de cofinancement significatifs venant d’acteurs comme la BADEA et le Fonds de l’OPEP, présentés comme des renforts capables d’augmenter l’impact dans les environnements les plus difficiles.
Ce que cela change pour l’Afrique francophone : plus de projets, mais aussi plus d’exigences
Dans l’espace francophone, l’enjeu n’est pas seulement “plus d’argent”, mais “meilleure exécution”. Une reconstitution record augmente l’appétit des États pour accélérer des portefeuilles de projets, mais elle met aussi en lumière les contraintes : qualité de préparation, maîtrise des délais, passation des marchés, transparence, maintenance. Dans un modèle où la concession doit catalyser l’investissement privé, la discipline d’exécution devient un actif financier : elle conditionne la capacité à attirer, ensuite, des partenaires commerciaux, des investisseurs institutionnels et des banques.
En filigrane, le FAD-17 pourrait donc produire un effet indirect mais structurant sur les marchés financiers locaux : pousser à une meilleure standardisation des projets, une montée en qualité des cadres de PPP, une sophistication des instruments de garantie et, à terme, un élargissement du champ du financement de projet dans des économies où le crédit bancaire reste souvent dominé par le court terme.
Un record qui ouvre une nouvelle séquence
Avec 11 milliards de dollars, la BAD sécurise une base de ressources solide pour 2026-2028 et consolide un récit : celui d’un financement concessionnel modernisé, plus orienté vers l’investissement, et porté par une participation africaine en hausse.
La question, désormais, n’est plus seulement de savoir si le FAD peut lever. Elle est de savoir à quelle vitesse ces ressources seront converties en résultats visibles – énergie, infrastructures, intégration régionale – dans des pays où la contrainte budgétaire est souvent la règle. Et surtout, si l’effet levier promis réussira à attirer, en volume, le capital privé que l’Afrique appelle de ses vœux.
Patrick Tchounjo



