Banque et Digital en Afrique Centrale

Cameroun : l’hégémonie Mobile Money se confirme avec 62 % des comptes CEMAC et près de 64 % des transactions
Le Cameroun s’impose plus que jamais comme la locomotive du Mobile Money en Afrique centrale. Selon les dernières statistiques publiées par la Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC), relayées par plusieurs institutions régionales et financières, le pays concentrait à lui seul 62,11 % des comptes Mobile Money enregistrés dans l’espace CEMAC à fin 2023. Il a également généré 63,58 % du volume total des transactions électroniques de la région sur la même période, confirmant une prédominance à la fois structurelle et dynamique sur ce marché en pleine expansion.
Une domination numérique enracinée
Les chiffres sont sans appel. Sur environ 45,3 millions de comptes Mobile Money recensés dans la CEMAC (Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale), plus de 28 millions sont domiciliés au Cameroun, selon les données du Conseil National du Crédit. Le deuxième acteur du marché, la République du Congo, ne recense que 8,7 millions de comptes, soit 21,84 % du total régional. Le Gabon arrive loin derrière avec 3,6 millions de comptes, représentant 9,15 %. Les trois autres pays membres — le Tchad, la Centrafrique et la Guinée Équatoriale — pèsent ensemble moins de 10 % des comptes, avec notamment une chute notable du nombre de comptes actifs au Tchad (passés de 3,61 à 2,13 millions entre 2022 et 2023).
La concentration est encore plus nette du côté des opérations. Sur 3,517 milliards de transactions Mobile Money enregistrées dans la CEMAC en 2023, près de 2,26 milliards ont été réalisées au Cameroun, soit 63,58 % du total. Le Congo suit, avec 896 millions d’opérations, ce qui représente 24,7 %, tandis que le Gabon capte environ 10 %. Ensemble, les trois autres pays totalisent à peine moins de 5 % des transactions régionales, illustrant la polarisation quasi hégémonique du Cameroun sur le secteur.
Une puissance tirée par l’infrastructure et la culture du paiement numérique
Le leadership camerounais s’explique par plusieurs facteurs cumulatifs. Premièrement, le pays dispose de l’écosystème mobile et bancaire le plus dense de la région, combinant des taux de couverture télécom élevés, une infrastructure mobile étendue et une pénétration active des smartphones. Les opérateurs majeurs — MTN Cameroon, Orange Money et plus récemment des fintech locales — ont su capter une clientèle vaste, notamment dans les zones périurbaines et rurales souvent négligées par les banques traditionnelles.
Deuxièmement, le Cameroun bénéficie d’un environnement réglementaire relativement stable et d’un marché concurrentiel qui pousse à l’innovation et à l’adoption rapide. Le mobile money y est devenu en quelques années un canal de paiement central, aussi bien pour les transferts interpersonnels que pour le règlement de services, les paiements marchands, les cotisations sociales ou même les impôts.
Enfin, le niveau de digitalisation des administrations publiques et la stratégie d’inclusion financière menée depuis 2021 ont contribué à accélérer la migration des flux physiques vers des plateformes électroniques, renforçant le réflexe Mobile Money comme outil du quotidien.
Un poids stratégique dans la finance régionale
Ce positionnement ultra-majoritaire offre au Cameroun une influence décisive sur les futures normes régionales en matière de paiement digital, d’interopérabilité bancaire et de réglementation des flux numériques. Dans un contexte où la BEAC prépare l’harmonisation des cadres prudentiels et opérationnels du Mobile Money à l’échelle sous-régionale, la voix camerounaise pèsera lourd. Toute évolution technique ou politique dans ce pays aura des répercussions directes sur la stabilité du marché régional.
Mais cette concentration soulève aussi des risques. La dépendance du marché CEMAC à l’écosystème camerounais expose l’ensemble de la zone à des vulnérabilités systémiques : interruption des services, cybersécurité, ou tensions réglementaires locales peuvent affecter la fluidité des transactions transfrontalières. Cela met en lumière la nécessité pour les autres États membres de renforcer leurs capacités numériques afin de rééquilibrer l’architecture régionale.
Des marges de croissance inégales
Si la performance du Cameroun semble difficile à rattraper à court terme, elle ne doit pas masquer les perspectives différenciées au sein de la CEMAC. Le Congo, deuxième marché en croissance, dispose d’un fort potentiel d’extension, notamment dans les zones rurales. Le Gabon, avec un revenu par habitant plus élevé, pourrait voir croître la valeur moyenne des transactions même si sa base client reste modeste. Le Tchad, malgré la contraction récente de ses comptes, bénéficie d’un appui croissant des opérateurs télécoms pour moderniser son réseau de distribution.
La dynamique camerounaise pourrait servir de modèle, mais aussi de levier, pour structurer un véritable marché financier numérique régional. Encore faut-il que cette domination s’accompagne d’un partage d’expertise et d’une ouverture à l’innovation inter-pays.
Patrick Tchounjo



