Cacao ivoirien : un financement SFI pour muscler la transformation et verrouiller la traçabilité

Un financement structurant en préparation pour San Pedro
La filière cacao ivoirienne pourrait enregistrer un nouvel investissement de référence dans la transformation locale. La Société financière internationale (SFI), branche du Groupe de la Banque mondiale dédiée au financement du secteur privé, indique préparer un financement d’environ 75,25 millions d’euros (soit 49,3 milliards FCFA) en Afrique de l’Ouest, sollicité par le groupe malaisien Guan Chong Berhad (GCB). L’objectif est de soutenir l’expansion de l’usine de transformation de cacao opérée à San Pedro par sa filiale GCB CI, tout en couvrant des besoins additionnels de fonds de roulement, notamment ceux liés à la traçabilité.
Le montage : prêt senior et partage de risque, avant une décision attendue en février 2026
Selon les éléments communiqués, le package financier envisagé s’articule autour d’un prêt senior sécurisé de 45 millions d’euros, complété par une participation au risque non financée de 30,25 millions d’euros. L’ensemble devrait être soumis à une approbation finale annoncée pour le 14 février 2026. À ce stade, l’apport projeté représenterait près de 70% d’un coût total estimé à 106 millions d’euros, ce qui traduit la volonté de sécuriser rapidement l’équation financière d’un projet industriel lourd, tout en laissant une part significative à la contribution propre de l’opérateur.
Doubler la capacité : de 60 000 à 120 000 tonnes, avec un cap à 240 000 tonnes
L’usine de San Pedro, issue d’un investissement initial présenté autour de 46 milliards FCFA, dispose actuellement d’une première unité affichant une capacité de 60 000 tonnes par an. Le projet soutenu vise l’installation d’une seconde unité afin de porter la capacité à 120 000 tonnes par an, conformément au plan d’expansion communiqué lors du lancement des activités le 21 juillet 2023. À moyen terme, l’ambition est plus large : atteindre 240 000 tonnes de production annuelle sur un horizon d’environ cinq ans, ce qui changerait d’échelle la place de l’industriel dans le paysage régional.
Valeur ajoutée : la Côte d’Ivoire cherche à transformer plus, exporter mieux
Au-delà du cas d’entreprise, l’opération s’inscrit dans une stratégie économique centrale pour la Côte d’Ivoire : accroître la transformation locale pour capter davantage de valeur sur une matière première dont le pays reste un pilier mondial. L’enjeu n’est pas uniquement industriel. Il est aussi commercial et budgétaire, car l’exportation de produits semi-finis ou plus élaborés peut, à terme, diversifier les recettes, limiter la dépendance aux cycles de prix des fèves et renforcer la capacité du pays à peser dans la chaîne de valeur.
Traçabilité : la conformité devient un investissement, pas un simple label
Une part importante du financement projeté doit couvrir des besoins de fonds de roulement liés à la traçabilité du cacao. Dans l’industrie, cette ligne n’est plus traitée comme un “extra” : elle devient une infrastructure de marché. Le Règlement européen sur la déforestation (RDUE), dont l’entrée en vigueur est attendue en 2026 selon le calendrier évoqué, pousse les industriels à démontrer la conformité des lots, documenter l’origine des fèves et sécuriser la chaîne d’approvisionnement. Cela implique des systèmes d’information, des contrôles, des procédures d’audit et une organisation logistique capable de produire des preuves exploitables, lot par lot.
Concurrence : la montée en puissance de San Pedro redistribue les positions
En cherchant à augmenter fortement ses capacités, GCB CI vise un repositionnement face à un marché où la transformation est déjà très concurrentielle. Dans cette industrie, l’avantage ne se résume pas à la taille des broyeurs. Il se joue aussi dans la capacité à sécuriser l’approvisionnement, à financer le cycle d’exploitation, à garantir la qualité et à répondre aux standards environnementaux et sociaux. À ce titre, l’appui d’un financeur international agit comme un accélérateur : il améliore la bancabilité, réduit le risque de rupture de financement et permet d’absorber plus rapidement les coûts fixes liés à la montée en conformité.
Emploi et impact local : un levier industriel aux retombées élargies
Le projet porte également une dimension sociale et territoriale. À date, l’usine emploierait 314 personnes, dont 80% d’Ivoiriens. Une extension de capacité peut amplifier les effets d’entraînement : besoins accrus en maintenance, logistique, stockage, sous-traitance, services portuaires et contrôle qualité. Mais l’impact le plus observé restera celui de la diffusion de la valeur : la transformation locale peut-elle contribuer, au-delà de l’usine, à une meilleure rémunération de l’amont agricole, notamment via des primes de durabilité et une organisation d’achat plus incitative ?
Une séquence à suivre : l’approbation de février 2026 comme point de bascule
Si la décision annoncée pour février 2026 se concrétise, l’extension de San Pedro pourrait devenir un marqueur de la nouvelle phase du cacao ivoirien : une phase où capacité industrielle et conformité avancent au même rythme, avec un objectif explicite de faire de la Côte d’Ivoire non seulement un géant de la production de fèves, mais aussi une plateforme de transformation capable de livrer des volumes plus importants, traçables et compétitifs sur les marchés internationaux.
Patrick Tchounjo



