CEMAC : près de 25 000 Mds FCFA d’actifs, 450 Mds de profits – les banques surfent sur la croissance mais restent frileuses

Le secteur bancaire de la CEMAC (Cameroun, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, Tchad, RCA) a signé en 2024 une nouvelle année de croissance, avec des bilans en expansion et des bénéfices en hausse, selon le dernier rapport de la Commission bancaire de l’Afrique centrale (COBAC).
Derrière ces indicateurs positifs, un message plus nuancé se dessine : les banques gagnent plus, gèrent davantage de dépôts, mais restent prudentes sur le crédit, tandis que les créances en souffrance continuent de peser lourd sur les portefeuilles.
Près de 25 000 milliards FCFA d’actifs : un secteur en expansion
En 2024, le total de bilan agrégé des établissements de crédit de la CEMAC atteint 24 967 milliards FCFA, soit une progression de 11,5 % sur un an. Cette croissance à deux chiffres confirme la montée en puissance des banques dans la région, portée à la fois par l’élargissement de la base de clientèle, la hausse des dépôts et une activité accrue sur les marchés financiers.
Les dépôts de la clientèle s’élèvent à 17 995 milliards FCFA, en hausse de 8,2 %. Dans un contexte de bancarisation progressive et de digitalisation des services, les banques continuent de capter une part croissante de l’épargne des ménages, des entreprises et des administrations publiques.
Côté emploi des fonds, les crédits bruts à l’économie atteignent 12 501 milliards FCFA, en progression de 6,5 %. La croissance est réelle, mais nettement inférieure à celle du bilan et des dépôts. L’écart persistant entre ressources collectées et crédits distribués traduit une intermédiation prudente, voire défensive, dans un environnement jugé encore risqué.
Une rentabilité en hausse, tirée par les marges et la trésorerie
Sur le plan de la rentabilité, le secteur bancaire CEMAC reste attractif. Les banques affichent un résultat net cumulé de 449,8 milliards FCFA, en hausse de 12,6 % par rapport à 2023.
Cette amélioration des bénéfices reflète plusieurs tendances : des marges d’intermédiation confortées par la remontée ou le maintien de niveaux de taux favorables, des activités de trésorerie et d’opérations sur titres plus contributives, notamment via la détention de titres publics rémunérés, et une meilleure maîtrise relative des charges d’exploitation dans un contexte de transformation digitale.
Pour les actionnaires, le message est clair : malgré un environnement macroéconomique contrasté et des risques structurels persistants, les banques de la CEMAC continuent de dégager des retours sur fonds propres solides, soutenus par une croissance maîtrisée des bilans.
Un paradoxe : plus de profits, mais un risque de crédit toujours élevé
Derrière ces performances comptables, la COBAC met en garde contre des vulnérabilités persistantes, en particulier sur la qualité des actifs. Les créances en souffrance atteignent 2 024 milliards FCFA, en hausse de 7,7 % sur un an.
Le taux de créances douteuses s’établit à 16,2 %, un niveau élevé par rapport aux standards internationaux et difficilement compatible, à terme, avec une politique de crédit ambitieuse au service de l’économie réelle.
Ce taux témoigne de la fragilité de certaines entreprises, notamment dans les secteurs exposés aux chocs de prix des matières premières et aux tensions de trésorerie publique, d’une gestion du risque de crédit encore perfectible dans plusieurs établissements, et d’un environnement des affaires marqué par l’informalité et la faiblesse des mécanismes de garantie et de recouvrement.
Résultat : les banques restent sélectives, privilégient souvent les grandes entreprises, les États et les opérations collatéralisées, et s’exposent davantage à la dette souveraine qu’au financement massif des PME.
Une intermédiation prudente qui interroge le financement de l’économie réelle
L’écart structurel entre les 17 995 milliards FCFA de dépôts et les 12 501 milliards FCFA de crédits illustre une réalité : une partie significative des ressources collectées n’est pas recyclée sous forme de prêts productifs à l’économie.
Plusieurs facteurs expliquent cette prudence : un environnement macroéconomique régional contrasté, marqué par la dépendance aux matières premières, la volatilité des recettes publiques et les tensions sociales ; des contraintes réglementaires croissantes imposées par la COBAC en matière de fonds propres, de concentration des risques et de provisionnement ; une préférence pour les titres publics, perçus comme moins risqués et plus simples à gérer que le crédit aux entreprises.
Pour les acteurs économiques, cette situation se traduit par un accès au crédit encore difficile, des conditions parfois jugées coûteuses ou très exigeantes en termes de garanties, et une incapacité du système bancaire à accompagner pleinement les ambitions de diversification et de transformation des économies CEMAC.
Quel horizon pour le secteur bancaire CEMAC ?
Les chiffres publiés par la COBAC racontent une double histoire. D’un côté, un secteur bancaire en croissance, mieux capitalisé, rentable, connecté aux marchés de titres et capable de générer près de 450 milliards FCFA de bénéfices annuels. De l’autre, un système confronté à une montée des créances en souffrance, à une intermédiation limitée et à des défis persistants en matière de gouvernance, de recouvrement et de financement des secteurs productifs.
Pour les autorités régionales, l’enjeu est désormais de transformer cette solidité financière en levier de développement, en encourageant une meilleure diversification sectorielle des portefeuilles de crédit, un renforcement des dispositifs de restructuration, de garantie et de partage de risques, ainsi qu’une montée en gamme des outils d’analyse et de gestion du risque, notamment pour mieux adresser les PME, l’agriculture, l’industrie et les services à forte valeur ajoutée.
À l’heure où la CEMAC cherche à soutenir sa croissance, à financer ses infrastructures et à accélérer l’intégration régionale, la question reste ouverte : le système bancaire saura-t-il sortir de sa prudence défensive pour devenir un véritable moteur de l’économie réelle, ou continuera-t-il à privilégier la protection de ses marges et de son bilan au détriment de la prise de risque productive ?
Patrick Tchounjo



