Financement industriel : Société Générale parie 1,9 milliard F CFA sur Multiprint, futur champion du packaging en Cemac

Multiprint Labels & Packaging vient de franchir un cap stratégique dans son ambition de devenir un acteur industriel de référence en Afrique centrale. L’entreprise, spécialisée dans la production de packaging et d’emballages industriels, a obtenu un financement de 1,9 milliard F CFA auprès de Société Générale Cameroun. Cette ligne de crédit est destinée à l’acquisition et à l’installation d’une presse de dernière génération, la Heidelberg Speedmaster CX 104-6+L, considérée comme l’une des machines offset les plus performantes du marché mondial.
Ce concours bancaire s’inscrit dans un investissement global de 2,5 milliards F CFA, première étape d’un programme industriel de 10 milliards F CFA étalé sur trois ans. L’objectif est clair : repositionner Multiprint comme un champion régional du packaging “Made in Cameroon”, capable de servir les géants agroalimentaires et brassicoles, au Cameroun comme dans l’ensemble de la Cemac et au-delà.
Une presse industrielle pour changer de dimension
L’arrivée de la CX 104 sur le site de Douala marque un véritable changement de dimension pour Multiprint. Avec une cadence opérationnelle de 15 000 feuilles à l’heure, cette presse permet à l’entreprise de faire un bond de productivité inédit : la capacité annuelle de production d’étiquettes doit passer d’environ 3 milliards à plus de 14 milliards de pièces.
Cette montée en puissance place Multiprint en situation de couvrir 150 % de la demande camerounaise et près de 90 % des besoins de la zone Cemac sur certains segments de packaging imprimé. Pour les industriels clients, l’enjeu est majeur : sécuriser des volumes, des délais et une qualité de production au standard international, sans dépendre systématiquement d’importations de supports imprimés en provenance d’Europe, d’Asie ou d’autres hubs africains.
Les grands groupes qui dominent l’agroalimentaire et les boissons dans la région – Castel, Guinness, Nestlé, UCB, Kadis, Source du Pays, Azur, Chococam et d’autres – y trouvent une alternative locale crédible. En renforçant ces capacités, Multiprint consolide son statut de fournisseur stratégique pour ces clients, tout en se donnant les moyens d’accélérer sa pénétration dans l’espace Ceeac et Cedeao.
Société Générale, levier bancaire d’un “Made in Cameroon” industriel
Pour Société Générale Cameroun, ce financement de 1,9 milliard F CFA illustre une approche assumée de banque partenaire de l’industrie. Le credit ne finance pas un simple besoin de trésorerie, mais un actif productif lourd, avec un impact direct sur la compétitivité d’une filière clé : celle du packaging, maillon indispensable des chaînes de valeur agroalimentaires et brassicoles.
En soutenant ce projet, la banque joue sur plusieurs registres. Elle accompagne un acteur déjà bien positionné sur son marché, avec des parts estimées entre 40 % et 49 % sur certains segments. Elle contribue à réduire la facture d’importation de supports imprimés, ce qui a des effets positifs sur la balance commerciale. Elle s’inscrit enfin dans une logique de financement d’actifs générateurs de cash-flow prévisible, appuyés sur des contrats récurrents avec les grands industriels de la région.
Ce type d’opération confirme que le dialogue banque–industrie peut se structurer autour de projets de transformation profonde de l’outil productif, et non plus seulement sur des lignes de court terme ou des financements de stock.
Répondre à une demande régionale sous tension
La trajectoire de Multiprint s’explique aussi par une dynamique de marché très favorable. Les besoins en impressions haut de gamme dans la région devraient dépasser 24 milliards F CFA d’ici 2030, portés par l’urbanisation, la montée des classes moyennes, la multiplication des références produits et le durcissement des exigences réglementaires en matière d’étiquetage, de traçabilité et de normes de qualité.
Dirigée par Ibrahima Ousmanou, également président de la Commission Industrie du Gecam, l’entreprise a vu son chiffre d’affaires passer de 5 à 17 milliards F CFA entre 2019 et 2024. Dans le même temps, ses effectifs ont dépassé la barre des 300 employés, confirmant l’émergence d’un acteur industriel qui crée de l’emploi qualifié, investit dans des compétences locales et structure un métier longtemps dominé par les importations.
Mais cette croissance rapide avait une contrepartie : des capacités historiques saturées par la demande, avec des risques de tension sur les délais et les volumes. L’investissement dans la CX 104, financé en partie par Société Générale, vient répondre à cette contrainte en libérant de nouvelles marges de production.
Un pari industriel à l’échelle de la Cemac
Au-delà de l’entreprise elle-même, le projet Multiprint pose une question plus large : celle de la capacité de la Cemac à se doter de champions industriels capables de servir les marchés régionaux.
Dans le packaging comme dans d’autres segments, la dépendance aux importations reste forte. Chaque fois qu’un industriel local monte en gamme et gagne en capacité, c’est une part de valeur ajoutée qui est relocalisée sur le territoire, avec à la clé emplois, fiscalité, savoir-faire et pouvoir de négociation renforcé pour les donneurs d’ordre locaux.
Pour les banques, ces évolutions ouvrent un champ d’action nouveau. Plutôt que de financer uniquement les besoins de court terme d’un tissu fragmenté, il s’agit d’identifier les entreprises susceptibles de devenir des plateformes régionales, de structurer avec elles des programmes d’investissement pluriannuels et de les accompagner dans leurs interactions avec les marchés de capitaux et les bailleurs de développement.
Vers un écosystème bancaire–industriel plus intégré ?
Le dossier Multiprint illustre, à sa manière, le type de chaînon manquant souvent évoqué dans les économies d’Afrique centrale : des PME industrielles devenant ETI, capables d’absorber des financements de plusieurs milliards de F CFA, de gérer des actifs industriels lourds et de se projeter à l’échelle régionale.
En se positionnant sur cette trajectoire, Multiprint envoie un signal aux autres acteurs du secteur productif : il est possible, avec un historique crédible et des contrats solides, de mobiliser des financements bancaires pour monter en capacité. De son côté, Société Générale, en assumant ce risque industriel, montre que les banques de la place peuvent jouer un rôle autre que purement transactionnel dans la transformation de l’appareil productif camerounais.
Reste désormais à voir comment cette première phase de 10 milliards F CFA sur trois ans se traduira concrètement en parts de marché régionales, en diversification de l’offre, en innovation produit et en création de valeur partagée entre Multiprint, ses clients, ses salariés et ses partenaires financiers. Dans un environnement où la compétitivité se joue aussi sur le packaging, l’entreprise et sa banque viennent de poser une pierre importante dans la construction d’un véritable “Made in Cameroon” industriel exportable.
Patrick Tchounjo



