Guinée–Mali : la BAD remet 25,8 M$ sur la table pour l’interconnexion électrique 225 kV

Le Fonds africain de développement (FAD), guichet concessionnel du Groupe de la Banque africaine de développement (BAD), confirme son rôle de pilier dans la structuration du réseau électrique ouest-africain. Réuni à Abidjan le 10 décembre 2025, son Conseil d’administration a approuvé un financement additionnel de 25,79 millions de dollars en faveur de la Guinée, destiné à la poursuite du Projet d’interconnexion électrique 225 kV Guinée–Mali.
Cette nouvelle enveloppe vient compléter un premier soutien d’environ 41 millions de dollars accordé en décembre 2017. Elle porte le coût total du projet en Guinée de 346 à 372 millions de dollars, confirmant l’ampleur stratégique de ce chantier, à la fois pour la Guinée, pour le Mali et pour l’intégration énergétique régionale.
Un montage financier renforcé autour de la BAD
Le financement approuvé par le FAD combine un prêt d’environ 22 millions de dollars et un don de 3,79 millions de dollars à la Guinée. Il s’inscrit dans un montage de cofinancement plus large, associant plusieurs partenaires : Union européenne, Banque mondiale, Banque européenne d’investissement et Banque d’investissement et de développement de la CEDEAO (BIDC).
La BAD justifie cette nouvelle intervention par sa volonté « d’accompagner la Guinée et le Mali dans un processus de développement socioéconomique soutenu, en contribuant à la résolution de leurs contraintes énergétiques ». Autrement dit, il s’agit moins d’un simple complément budgétaire que d’un renforcement stratégique d’un maillon jugé critique du futur réseau électrique ouest-africain.
La période de mise en œuvre de cette phase additionnelle s’étendra de janvier 2026 à décembre 2028. Elle doit permettre d’achever et d’étendre les infrastructures nécessaires pour que l’interconnexion 225 kV ne soit pas seulement une ligne de transit, mais un levier concret d’accès à une énergie plus fiable et moins coûteuse pour les populations.
37 500 nouveaux branchements et un appui aux institutions clés
L’un des effets les plus tangibles de ce financement additionnel sera la réalisation de 37 500 branchements électriques supplémentaires en Guinée. Dans un pays où le taux national d’accès à l’électricité était encore limité à 52 % en 2024, avec 89 % en zones urbaines contre seulement 21 % en zones rurales, cette extension représente un véritable enjeu de cohésion territoriale.
Le projet ne se limite pas à la pose de câbles et de transformateurs. Il prévoit également :
la création de départs moyenne tension au niveau des postes HTB/HTA pour accompagner l’électrification rurale ; un appui institutionnel aux acteurs clés du secteur, en particulier Électricité de Guinée (EDG), opérateur public de production, transport et distribution, et l’Autorité de régulation du secteur de l’électricité et de l’eau (AREE) ; la prise en charge des frais de fonctionnement de l’Unité de gestion du projet et des prestations de l’ingénieur-conseil.
Ce volet institutionnel est central. La BAD cherche non seulement à financer des infrastructures, mais aussi à améliorer la gouvernance du secteur, la crédibilité d’EDG et la capacité de régulation de l’AREE. Deux faiblesses régulièrement pointées comme des freins à l’investissement privé et à la stabilité du système.
Une interconnexion au service d’une énergie plus abordable
Pour la Guinée comme pour le Mali, l’interconnexion électrique 225 kV va bien au-delà d’un simple lien physique entre deux réseaux nationaux. Elle s’inscrit dans la construction d’un marché régional de l’électricité au sein de la CEDEAO, avec la possibilité d’optimiser les ressources disponibles et de mutualiser les capacités.
En connectant davantage la Guinée – dotée d’un important potentiel hydroélectrique – aux pays voisins, le projet permet :
de valoriser à l’export une partie de la production guinéenne lorsque la capacité est excédentaire ; de sécuriser l’approvisionnement du Mali, dont la dépendance à des sources thermiques et aux importations reste élevée ; de favoriser, à terme, une baisse du coût moyen de l’électricité pour les opérateurs et les ménages, grâce à une meilleure optimisation du mix énergétique.
La BAD estime que l’accès à une énergie de meilleure qualité et à moindre coût constitue un levier direct de compétitivité pour les entreprises sur les deux rives, mais aussi un facteur de résilience pour les ménages les plus vulnérables, qui s’appuient encore massivement sur le bois, le charbon ou les groupes électrogènes.
Gouvernance et accès : deux défis au cœur du projet
Le FAD rappelle que le projet vise explicitement deux défis majeurs du sous-secteur électrique guinéen : la gouvernance et le taux d’accès.
Sur la gouvernance, l’appui institutionnel prévu doit contribuer à :
renforcer les capacités techniques et managériales d’Électricité de Guinée ; consolider le cadre de régulation tarifaire et contractuelle via l’AREE ; améliorer la planification, le suivi et le contrôle des projets d’infrastructures.
Sur l’accès, les 37 500 branchements supplémentaires, combinés à l’extension de la moyenne tension, ciblent des zones périurbaines et rurales où l’électrification reste faible, voire inexistante. Pour les populations concernées, l’arrivée de l’électricité signifie un changement concret : éclairage domestique, réfrigération, équipements de base, mais aussi développement de petites activités productives (moulins, ateliers, commerces, froid pour la chaîne alimentaire, etc.).
La réussite du projet sera donc évaluée autant sur la consolidation des équilibres techniques et financiers du secteur que sur la capacité à faire progresser, de manière visible, les taux d’accès dans les territoires.
Des retombées attendues pour les ménages, les services et l’emploi
Les bénéficiaires du projet sont multiples. En premier lieu, les ménages, qui verront leurs conditions de vie s’améliorer grâce à un accès plus fiable à l’électricité. Mais également les infrastructures sociocommunautaires : écoles, centres de santé, ateliers d’artisanat, centres de formation, structures associatives ou groupements féminins.
En sécurisant l’énergie pour ces infrastructures, le projet doit :
soutenir la qualité de l’éducation (éclairage des salles, outils numériques, internats) ; améliorer la prise en charge sanitaire (chaîne du froid pour les vaccins, équipements médicaux, conservation des médicaments) ; stimuler les activités productives locales, en offrant aux artisans, PME et coopératives un accès à une énergie moins aléatoire et potentiellement moins coûteuse.
À moyen terme, ces effets doivent se traduire par la création d’emplois, une augmentation des revenus locaux et un renforcement de la cohésion sociale, notamment dans les zones rurales qui se sentent souvent marginalisées.
Un test grandeur nature pour l’intégration énergétique ouest-africaine
En consolidant l’interconnexion 225 kV Guinée–Mali, le Fonds africain de développement et ses partenaires envoient un signal fort : l’avenir de l’électricité en Afrique de l’Ouest passera par des réseaux interconnectés, des marchés intégrés et une meilleure complémentarité entre pays.
Pour la Guinée, ce financement additionnel constitue autant un levier technique qu’un test politique et institutionnel. La capacité à exécuter ce projet dans les délais, à absorber les ressources mobilisées et à faire progresser réellement l’accès à l’électricité sera observée de près par les bailleurs et les investisseurs.
S’il est mené à bien, le projet pourrait servir de référence pour d’autres interconnexions structurantes dans la sous-région. À défaut, il rappellerait une fois de plus que les grands chantiers énergétiques africains se jouent autant sur les lignes haute tension que dans la qualité des institutions qui les portent.
Patrick Tchounjo



