Tchad : la BAD débloque 16 milliards FCFA pour électrifier un pays à 11 % d’accès

Le Tchad fait un pas supplémentaire dans sa lutte contre la pénurie chronique d’électricité. Le 11 décembre à N’Djamena, le gouvernement et la Banque africaine de développement (BAD) ont signé un accord de financement de 28,5 millions de dollars, soit environ 15,8 milliards FCFA, destiné à la deuxième phase du Projet d’appui au secteur de l’énergie au Tchad (PASET).
L’enjeu est immense dans un pays où seulement 11 % de la population a accès à l’électricité, avec moins de 1 % en milieu rural. En ciblant l’hybridation solaire de centrales thermiques et le déploiement massif de compteurs intelligents, la BAD se positionne comme l’un des principaux architectes de la transition énergétique tchadienne.
Un financement pour sortir de la fragilité énergétique
L’accord, paraphé par le ministre d’État des Finances, Tahir Hamid Nguilin, et le représentant résident de la BAD, Francis Sam Yaya Dogo, s’inscrit dans la volonté affichée de la banque de « soutenir le Tchad dans un processus de sortie graduelle de la situation de fragilité économique et sociale en contribuant à la résolution de la crise énergétique ».
Concrètement, cette deuxième phase du PASET vise à renforcer le système électrique national en agissant sur deux leviers : la production et la gestion de la demande.
Sur la production, le projet prévoit l’hybridation solaire de la centrale à gaz de Moundou, afin de combiner énergie solaire et thermique et réduire la dépendance du pays au carburant importé, coûteux et volatil.
Sur la demande, il programme l’installation de 100 000 compteurs intelligents dans la capitale N’Djamena, pour moderniser la gestion du réseau, limiter les pertes commerciales et améliorer la qualité du service rendu aux usagers.
Ce financement s’inscrit dans la continuité des études menées dans le cadre de l’initiative Desert to Power, le grand programme de la BAD qui ambitionne de faire du Sahel un hub solaire continental en hybridant progressivement les centrales thermiques des zones isolées.
Hybridation solaire : un tournant technique et politique
En plaçant l’hybridation solaire au cœur de cette phase du PASET, la BAD et les autorités tchadiennes optent pour une approche de transition pragmatique. Plutôt que de substituer brutalement le thermique par du renouvelable, il s’agit de marier les deux technologies pour réduire progressivement le poids des combustibles fossiles.
La centrale à gaz de Moundou fait office de laboratoire. En l’équipant de capacités solaires, le Tchad espère diminuer sa facture en carburant, améliorer la stabilité du réseau et réduire les émissions de CO₂. Si le modèle fonctionne, il pourrait être dupliqué dans d’autres localités, comme le souligne la BAD, avec un impact direct sur les coûts de production et l’environnement.
Cette stratégie est d’autant plus importante que l’essentiel de la production actuelle repose sur des groupes diesel dispersés, souvent mal entretenus, coûteux et vulnérables aux ruptures d’approvisionnement. Pour un pays enclavé, dépendant des corridors régionaux pour ses importations, cette dépendance énergétique est aussi un facteur de fragilité économique.
Compteurs intelligents : reprendre le contrôle du réseau
L’autre grand volet du financement concerne le déploiement de 100 000 compteurs intelligents à N’Djamena. Dans un contexte où les entreprises publiques d’électricité sont souvent plombées par les pertes commerciales, les branchements illégaux et une faible culture du paiement du service, ces équipements sont un outil stratégique.
Les compteurs intelligents permettent de mesurer plus finement la consommation, de lutter contre la fraude, de limiter les impayés et d’introduire des mécanismes de prépaiement ou de tarification plus ciblés. Pour l’opérateur, ils contribuent à assainir sa trésorerie. Pour les ménages, ils offrent une plus grande transparence sur la facture et un meilleur contrôle de la consommation.
Le déploiement à grande échelle de ces technologies à N’Djamena constitue une première dans le pays. Il devrait, à terme, contribuer à restaurer la confiance entre l’opérateur et les clients, préalable indispensable à l’extension du réseau et au financement de nouvelles infrastructures.
La BAD en première ligne, aux côtés de Scatec
Avec ce nouveau financement, la BAD devient l’un des premiers bailleurs à opérationnaliser un programme d’hybridation des centrales thermiques au Tchad, aux côtés de la société norvégienne Scatec, déjà active sur l’énergie solaire en Afrique.
La banque estime que la réussite de ce programme pourrait entraîner des duplications dans d’autres villes et centres isolés, créant un effet d’entraînement dans tout le pays. Elle met également en avant l’impact social potentiel, en soulignant que ce type de projet peut soutenir des milliers de ménages vulnérables, notamment par l’accès à une électricité plus stable et, à terme, plus abordable.
Dans un pays marqué par la pauvreté, l’instabilité et l’isolement de nombreux territoires, l’accès à l’énergie ne relève pas seulement de la technique : c’est un levier de stabilisation sociale, un outil pour l’éducation, la santé, l’entrepreneuriat et la création d’emplois.
Un des taux d’électrification les plus faibles au monde
Les chiffres rappellent l’ampleur du défi. Le Tchad affiche l’un des taux d’accès à l’électricité les plus faibles au monde, limité à 11 %. La fracture entre villes et campagnes est vertigineuse : environ 20 % d’accès en zones urbaines, contre moins de 1 % en zones rurales.
Selon la BAD, le pays détient également le niveau de consommation moyenne d’électricité par habitant le plus faible de la CEMAC, avec 47 kWh par habitant, pour une moyenne régionale de 109 kWh/habitant. Autrement dit, un Tchadien consomme à peine la moitié de ce que consomme en moyenne un habitant de la sous-région, elle-même en retard par rapport au reste du continent et du monde.
Dans ces conditions, chaque projet d’infrastructure électrique prend une dimension stratégique. Il ne s’agit pas seulement d’augmenter des chiffres abstraits de capacité installée, mais d’ouvrir la voie à une électricité de base, condition minimale pour développer l’agro-transformation, les services, l’artisanat, les PME et les activités génératrices de revenus.
2030 : 866 MW de capacité et 90 % d’accès, un pari ambitieux
À travers des programmes comme le PASET, les autorités tchadiennes affichent des objectifs très ambitieux : atteindre 866 MW de capacité installée et un taux d’accès national de 90 % à l’horizon 2030.
Au regard du point de départ, le chemin à parcourir est considérable. Il implique non seulement de mobiliser des financements massifs auprès des bailleurs multilatéraux, des États partenaires et du secteur privé, mais aussi de réformer la gouvernance du secteur, de renforcer les capacités des institutions et d’encadrer les partenariats public-privé.
La BAD, en injectant près de 16 milliards FCFA supplémentaires, envoie un signal de confiance dans cette trajectoire. Mais la réussite dépendra de la capacité du Tchad à exécuter les projets dans les délais, à garantir la transparence dans l’utilisation des fonds et à inscrire ces initiatives dans une stratégie cohérente de long terme, qui combine production, transport, distribution, régulation et tarification.
Pour l’heure, ce nouveau financement illustre au moins une certitude : dans la bataille pour l’énergie en Afrique centrale, le Tchad n’a plus le luxe de rester à la marge. Et c’est bien sur le terrain solaire, appuyé par des outils intelligents et des partenaires comme la BAD, que le pays tente désormais d’éclairer son avenir.
Patrick Tchounjo



