Tchad : la promesse de 2,5 milliards USD à Abou Dhabi replace la BEAC au centre du jeu financier

À Abou Dhabi, ce lundi 10 et mardi 11 novembre 2025, le Tchad a franchi un tournant stratégique dans sa quête de développement. Lors de la table ronde organisée pour mobiliser près de 30 milliards USD d’investissements, le pays a décroché une promesse de 2,5 milliards USD de la Banque mondiale. Cet engagement, officialisé par Ousmane Diagana, vice-président de l’institution pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, marque un signal de confiance fort pour le programme national Tchad Connexion 2030.
Le Plan national de développement (PND), chiffré à 18 000 milliards FCFA, regroupe 17 programmes et 268 projets qui visent à transformer en profondeur l’économie tchadienne d’ici 2030. Il ambitionne de porter la croissance à près de 10 %, de réduire la pauvreté, d’améliorer la connectivité numérique et de maîtriser la dette publique.
Un signal fort pour l’Afrique centrale
Cette promesse de financement intervient dans un contexte régional marqué par la recherche de nouveaux équilibres financiers et une réaffirmation du rôle de la BEAC (Banque des États de l’Afrique Centrale) comme pilier de stabilité monétaire. Si le financement provient d’une institution internationale, sa gestion et son intégration dans le circuit économique sous-régional passeront nécessairement par un dialogue étroit avec la BEAC, garante de la cohérence macroéconomique en zone CEMAC.
La banque centrale devra notamment accompagner la mobilisation des ressources internes et externes, tout en veillant à ce que les flux financiers restent compatibles avec la politique monétaire commune. Cette coordination est essentielle pour éviter toute pression inflationniste, préserver les réserves de change et assurer la soutenabilité de la dette.
La BEAC, garante de la discipline et de la confiance
Au-delà de la surveillance monétaire, la BEAC se positionne désormais comme un acteur clé de la gouvernance économique régionale. Son rôle consiste à assurer la discipline budgétaire des États membres tout en accompagnant la mise en œuvre de projets d’investissement d’envergure. Dans le cas du PND tchadien, la BEAC devra veiller à l’équilibre entre financement du développement et stabilité financière régionale.
Cette vigilance est d’autant plus cruciale que le Tchad fait partie des pays de la CEMAC dont les équilibres budgétaires demeurent sensibles aux fluctuations des cours pétroliers. L’appui de la Banque mondiale, s’il constitue un levier considérable, devra s’articuler avec les orientations de la BEAC afin de garantir une absorption maîtrisée des capitaux et une affectation efficace des ressources.
Tchad Connexion 2030 : un projet d’intégration et de transformation
Lancé par le gouvernement tchadien, Tchad Connexion 2030 incarne une vision ambitieuse : connecter le pays à ses voisins, moderniser ses infrastructures et accélérer la transition numérique. Le programme prévoit la construction de plus de 7 000 km de routes, l’extension de la couverture internet à 80 %, ainsi que des investissements massifs dans l’éducation, la santé et l’énergie.
Ces priorités s’inscrivent dans la volonté de faire du Tchad un hub de connectivité et de logistique au cœur de l’Afrique centrale. Mais pour réussir, cette vision nécessite une architecture financière solide, dans laquelle la BEAC joue un rôle de chef d’orchestre monétaire pour coordonner les flux de capitaux, renforcer la transparence et soutenir la convertibilité du franc CFA.
Si cette promesse de 2,5 milliards USD ne couvre qu’une partie des besoins, elle insuffle une dynamique positive à la table ronde d’Abou Dhabi, où sont attendus près de 2 000 participants : bailleurs de fonds, fonds souverains, groupes privés et représentants du président Mahamat Idriss Déby Itno. Outre la Banque africaine de développement et plusieurs partenaires institutionnels, le gouvernement espère séduire un secteur privé encore prudent, désireux de garanties. Les autorités veulent démontrer que le cadre politique et réglementaire est désormais stabilisé et propice aux affaires, alors que certains voisins ont récemment dû renégocier plusieurs contrats avec des investisseurs.
Pour séduire des groupes encore peu présents dans le pays, N’Djamena mise sur un arsenal d’incitations fiscales et douanières. Le ministre des Finances a mis en avant une infrastructure fiscalo-douanière entièrement digitalisée, une réduction substantielle de l’impôt sur les sociétés sur dix ans, une TVA abaissée, ainsi que des mesures ciblées pour les secteurs agricole, touristique, énergétique ou implantés dans les zones éloignées. L’exécutif tchadien insiste également sur les progrès réalisés en matière d’accès au foncier, de mobilité avec la réintroduction des e-visas, et de production électrique — autant d’avancées destinées à rassurer les investisseurs internationaux sur la solidité du cadre d’affaires.
Vers une nouvelle gouvernance du financement du développement
Cette table ronde d’Abou Dhabi illustre une nouvelle diplomatie économique africaine, où les institutions régionales comme la BEAC, la COSUMAF et la BDEAC sont appelées à collaborer avec les partenaires internationaux pour bâtir une finance publique plus résiliente. La promesse de la Banque mondiale est donc autant un soutien financier qu’un acte de confiance dans la gouvernance économique du Tchad et dans le cadre institutionnel régional.
La BEAC, en garantissant la cohérence des politiques économiques et monétaires, s’impose comme un pivot de la crédibilité financière de la CEMAC. Son accompagnement du PND tchadien pourrait servir de modèle pour d’autres pays engagés dans des programmes de transformation à grande échelle.
Une dynamique à suivre
Avec ce premier engagement de 2,5 milliards USD, le Tchad entame une phase déterminante de sa trajectoire économique. La réussite du plan Tchad Connexion 2030 dépendra de la capacité du pays à transformer ces promesses en investissements productifs, tout en respectant les équilibres macroéconomiques régionaux.
Sous le regard attentif de la BEAC et de la Banque mondiale, N’Djamena semble prête à écrire une nouvelle page de la gouvernance économique en Afrique centrale, fondée sur la rigueur, la confiance et l’intégration régionale.
Patrick Tchounjo



